Iolass

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La rigueur militaire des Amazones est légendaire. La voir à l'œuvre est plus impressionnant encore. Chaque guerrière partie laisse sa place à une civile remilitarisée. La reine est revenue à Thermiscyre pour organiser la défense du territoire et de la cité. Ignis poursuit sa refonte des armes mais elles finiront par manquer. Méphistès a vu juste, l'aide de Pharaon sera nécessaire.

Hippolyte monte son camp à l'est, dans les montagnes. Cette position, sans nous dévoiler, nous permet d'observer le fort en maintenant les activités de terrassement prévues aux abords du bassin de décantation. L'élargissement souterrain de la canalisation est plus difficile que prévu. Je propose mon aide. Provoquer une érosion accélérée n'est pas un souci pour un Atlante. Mais la stratège s'y oppose. Contrairement à Alia, Hippolyte se méfie de ce qu'elle appelle mes talents. Faire surgir devant ses guerrières ce qui serait pris pour de la magie peut troubler les esprits. En outre un autre programme m'attend. Le fort est connu mais la forge, elle, doit être espionnée. À part Alia, nul ne l'a vue. Je suis le seul à savoir dans quelle direction orienter les recherches. Je guiderai donc les éclaireuses. Cyrène vient me chercher, seulement accompagnée d'une autre jeune femme, mince et musclée, au visage carré, presque masculin. Elle ne prend même pas la peine de nous présenter.

_ Ne vous souciez pas de nous, nous serons toujours près de vous. Vous ne nous verrez pas la plupart du temps mais nous serons là.

_ Je sais. C'est ainsi qu'Alia m'a échappé.

_ Elle est la plus douée...

_ Pas assez pour les Hyksos.

_ Mais vous verrez, nous ne sommes pas mal non plus, s'amuse-t-elle.

_ Comment se fait-il que vous ayez votre formation militaire et pas elle ?

Ma question l'intrigue. Elle hésite ne sachant trop si elle peut y répondre.

_ C'est Alia qui l'a décidé. Elle souhaitait qu'à sa mort je puisse choisir le temple qui m'agréerait.

_ Pourquoi a-t-elle refusé de s'y rendre ?

_ Officiellement pour finir son initiation.

_ Officieusement ?

_ Alia sous la férule d'Hippolyte ? Vous voulez rire.

Évidemment, elle n'avait aucune envie de se soumettre à son aînée. Elle a repoussé ce moment autant qu'elle a pu. Ma venue a légèrement compliqué les choses. Pendant des années, elle avait espéré n'avoir à vivre que le temps qu'il faudrait pour ne se soucier de rien, de ses caprices... Elle allait mourir, pourquoi s'en faire. Peu importe à présent : Alia ne deviendra jamais une guerrière.

Cyrène, sa compagne et moi quittons la montagne pour rejoindre le repère de la vieille Circé. Les ruines du temple ne fument plus. Alia a raison, les Hyksos craignent cet endroit. Nul n'est revenu sur ces lieux maudits. J'en conclus également que, si du côté de nos ennemis l'absence de cinq hommes n'a pu passer inaperçue, rien ne les a portés jusqu'ici. Peut-être ont-ils attribué leur disparition à une désertion ?

_ Très bien, avertit Cyrène, à partir de là vous faites à votre façon et nous à la nôtre.

Je vois parfaitement où elle veut en venir. Une fois dans les arbres, les Amazones disparaissent de ma vue. Leurs mouvements sont si prestes et agiles qu'ils sont imperceptibles à l'œil nu. Leur présence passe aisément pour un souffle du vent. Elles épousent la forêt, deviennent nymphes sylvestres, invisibles aux yeux des hommes. Mais la vie ne peut être cachée à un Atlante. J'arriverai tôt ou tard à les percevoir. J'ignore qui des deux suit l'autre mais nous nous retrouvons non loin de la forge. Les baraquements, les fourneaux, la gueule de la mine, tout est exactement comme Alia l'a décrit. Le travail du minerai n'exige pas que du bois, il nécessite également une grande quantité d'eau. Guidé par elle, je peux me dématérialiser et naviguer dans ces lieux. Cyrène hésite. Ce ne sera pas aussi facile qu'en pleine eau ! Il est évident qu'Alia lui a parlé de mes capacités. Je dois l'admettre, elle a raison : ce ne sera pas aussi facile qu'en eau vive. Les fourneaux peuvent être observés par elles depuis la cime des arbres, un peu vers l'ouest. Elle me laisse le soin de trouver les otages. Nous nous donnons rendez-vous chez Circé dans deux heures, avant le coucher du soleil. Cela devrait nous permettre de rejoindre le camp d'Hippolyte.

Cela me convient. Je descends du grand cèdre où elles ont trouvé refuge et parts à l'est du camp, vers la gueule de la mine. En contournant un peu, une crête rocheuse me cachera des sentinelles. Avec un peu de chance, je pourrai atteindre l'entrée de la mine. Je gravis sans effort le piton rocheux lorsque je devine dans la paroi un courant d'air salvateur. Une faille ! Mince mais assez large pour permettre à un homme de s'y glisser en rampant. Je décide de tenter ma chance. La progression n'est pas aisée et mes avant-bras ne doivent pas compter leurs écorchures. Dommage que les Atlantes ne soient pas de marbre. Je peux me dématérialiser mais, à quoi me servirait de reconnaître le terrain si mes hommes ne peuvent pas le pratiquer par la suite. Je suis le seul atlante ; l'oublier n'est pas permis. Petit à petit des voix se font entendre. Plus exactement des murmures comme des messes-basses. Je tends l'oreille : amazone ! Je ne suis plus si loin. Je débouche sur une zone obscure, peut-être un ancien goulot. Pas de sentinelle ! Ce passage leur est donc inconnu. Les prisonnières sont légèrement plus proches de l'entrée principale, entassées, comme Tibaal l'a dit, dans trois cages de bois différentes. Le petit a du entrer dans la grotte par le même chemin. Elles sont une vingtaine, de tout âge jusqu'à l'adolescence. Elles sont maigres et affaiblies ; les plus grandes postées contre les barreaux ont regroupé les plus jeunes en leur centre. Leur regard est très clair : la haine. Aucune ne pleure, pas même la plus petite, à peine âgée de deux ou trois ans. Les sentinelles, quant à elles, ne sont pas aussi nombreuses que je l'aurais cru : une petite huitaine. Ils sont trop sûrs de leur force. Nous pourrons nous en débarrasser aisément. Sortir sera une autre affaire. Il nous faudra une diversion. J'ai ce que je voulais. Inutile de rester plus longtemps. Ce soir, Hippolyte aura son rapport.

Je rejoins Cyrène et l'autre éclaireuse. Elles m'attendent tranquillement. La forge ne sera pas difficile à détruire. Tout peut y brûler. Le feu ? Excellente diversion.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant