Iolass

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Je l'abandonne une journée et elle s'attire des ennuis. Je ne décolère pas. Ma réaction la surprend et nourrit le fossé qui nous sépare :

_ Il est dangereux !

Elle hausse les épaules exaspérée, rappelle qu'il est son frère et qu'apparemment ma méfiance s'applique à tout le monde désormais.

_ Ta mère t'a interdit de le consulter.

_ Elle m'a interdit de consulter l'oracle, s'énerve-t-elle à bout, pas de voir mon frère.

_ Il t'a quand même envoyée par le fond !

Nous nous disputons violemment à présent. L'air se charge d'une électricité de très mauvais augures. Je sens dans la pièce les éléments liquides se mettre à bouillonner de façon alarmante. Ainsi elle avance dans son initiation. Notre ton attire Psyché et Cyrène qui semblent attendre patiemment la clôture du débat.

_ C'était un accident !

_ Ce n'est pas ce que Méphistès a vu.

De toute évidence personne n'a jugé bon de la mettre au parfum. Pourquoi aurait-elle pris ses distances ?

_ Veux-tu voir ? proposè-je conscient qu'elle peut entendre par ma mémoire le récit de notre bandit de frère.

_ Non ! se défend-t-elle horrifiée. Qu'est-ce que tu veux ?

Il est clair à ses yeux que je ne suis pas revenu dans l'espoir d'une réconciliation.

_ Ta mère nous demande. Au temple d'Artémis, précisè-je.

Elle en exige davantage mais je suis dans l'ignorance. Elle se construit une attitude de circonstance boudeuse et glacée. Elle ment si mal que j'en souris.

_ Ne fais pas l'enfant.

Outrée, elle me foudroie. Inutile de pousser trop loin les limites. Nous arrivons devant le temple rapidement. Le char de la reine patiente dans la cour. Nous sommes attendus. La vieille muette de la reine nous devance. Les lieux sont aussi étrangers pour moi que mystérieux. Ainsi c'est entre ces murs qu'Alia a grandi. L'enceinte est imposante, fermement gardée par les disciples les plus âgées. Ces adolescentes portent un harnais de cuir qui comprime leur poitrine pour leur permettre de tirer et leur donne un drôle d'air androgyne. Leurs carquois sont chargés, leurs arcs bandés. Ma présence ne les intrigue guère mais elle les courrouce. Je n'ai pas ma place ici. Pourquoi la reine a-t-elle exigé ma venue ? Les portes s'ouvrent découvrant tout un monde fantomatique.

_ Aucun homme n'a le droit de traverser l'enceinte ?

_ Non, admet Alia d'une voix étranglée qui rejoint mon angoisse.

La muette sourit ou plutôt grimace comme si elle quittait son air revêche pour la toute première fois. Nous traversons une cour sauvage, encombrée d'arbustes et de bosquets. Pas âme qui vive. Cela me semble inhabituel, laissant les allées dallées aux quatre vents dans un silence inquiétant.

_ Les disciples ont été consignées, remarque Alia en désignant des baraques de bois, volets fermés, placées à l'écart.

_ Pour éviter de me voir ?

_ Il faut croire.

Le temple de la déesse chasseresse est situé en hauteur. Sa forme ronde m'impressionne, entouré d'une colonnade colorée et d'un toit de tuiles vernissées. Il domine à peine la cime des arbres. Des sentiers pavés permettent d'accéder aux autres bâtiments dispersés dans la forêt. Malgré les bourrasques hivernales, tout est trop silencieux. Alia se ferme instinctivement. Nous bifurquons vers la gauche, dans la partie la plus épaisse des bois. Alia marque un temps d'arrêt et retient mon bras.

_ Le temple des ombres, murmure-t-elle.

Face à mon incompréhension, elle ajoute :

_ Un lieu d'isolement pour les malades.

Elle reste perplexe un instant, puis rejoint la muette, éperdue.

_ Ma mère ?

Sans un mot, imperceptiblement la vieille servante lui infirme.

_ Isoha ? Hippolyte ?

Non, à chaque fois. Nous ne sommes guère avancés. De toute façon, nous n'avons plus beaucoup à attendre : une maison de bois, sombre et solitaire, se détache au milieu d'une clairière. Son architecture rustique m'intrigue mais pas son isolement. Alia finit par m'expliquer qu'elles y mettent le feu quand cela s'avère nécessaire. Les malades ? Son silence gêné me laisse peu de doute sur leur traitement.

_ La mort peut être douce donnée avec soin, essaie-t-elle de justifier.

Mais nos vues sont par trop différentes pour que l'on puisse jamais se rejoindre sur ce point. Isoha vient à notre rencontre. La sorcière est nerveuse, soucieuse, mais ne répond pas aux questions de sa nièce qui s'emporte rapidement.

_ Je veux que tu gardes un œil vierge sur ce problème, coupe la prêtresse.

_ Encore une épreuve ?

_ Tu es initiée, jeune fille. Tu possèdes les voix d'Hadès. Qui voudrait te mettre à l'épreuve ne le pourrait pas. Non, nous avons un problème et nous espérons qu'au mieux tu l'identifieras.

_ Au mieux ? répondons-nous d'une seule et même voix.

L'affaire semble d'importance.

_ Entrez, ordonne Isoha, tous les deux.

La pièce est sombre, éclairée faiblement par des flambeaux à intervalles réguliers. Les murs sont peints à la chaux. La chaleur est étouffante. Quatre jeunes femmes délirent allongées sur leur lit sommaire. Elles sont trempées de sueur. La reine baigne leur visage douloureux autant qu'elle le peut. Alia reste sur le seuil, pétrifiée. Je lui prends la main pour la rassurer mais elle n'a pas peur. Non, c'est autre chose. Ses émotions bouillonnent : la colère. Elle resserre ses doigts sur les miens comme pour mieux oublier la vanité de nos disputes. Sa colère a changé, plus violente, presqu'excessive. La rage ? Non, la haine, absolue et vengeresse. Elle me lâche, échange un regard qui se veut rassurant et s'approche d'une des malades. Curieusement elle examine avec attention ses mains, ses phalanges, une par une. Elle hoche la tête montrant que ses observations confirment son diagnostique. Le gémissement des corps emportés par la fièvre ne laisse aucun répit. Je m'attarde sur leur visage : des éclaireuses !

_ Elles étaient dans l'expédition, n'est-ce pas ?

_ Oui, se contente Isoha qui ne quitte sa nièce des yeux.

_ À quoi pensez-vous ?

_ Et vous ? m'interroge-t-elle.

_ Moi ? Je ne suis pas médecin.

_ Cela ne vous rappelle rien ?

_ Pardon ?

_ Regardez mieux.

Elle m'angoisse sérieusement. Alia examine chaque malade, leurs mains surtout et leur haleine aussi. Que veut dire cette vieille harpie ? Ces jeunes filles se tordent de douleur, contiennent avec peine les flots de souffrance qui dévore leurs entrailles. C'est comme si elles brûlaient de l'intérieur ! Je croise le regard d'Alia ! Nous pensons la même chose. Mais elle n'a pas la réaction à laquelle je peux m'attendre. Elle se lève impassible et se dirige à grands pas vers la porte. Consternée, la reine lui barre le passage.

_ Je ne fuis pas, mère, affirme-t-elle déterminée. Je dois vérifier certaines choses. Les armes sont au temple d'Arès, n'est-ce pas ? Ces filles sont-elle les seules ?

_ Non, deux guerrières d'Hippolyte souffrent des mêmes maux. Elle doit les amener.

_ Ce n'est pas nécessaire, elles ne sont pas contagieuses. Iolass, peux-tu faire de la glace ?

J'aurais préféré qu'elle ne mentionne pas mes talents mais le regard de la reine se fait si suppliant. Cela m'inquiète :

_ Que comptes-tu faire ?

Elle partage avec sa mère une expression qui me fait craindre le pire. Je jurerais qu'elles se parlent sans voix. La reine baisse les yeux et lui cède le passage. Je file à sa suite mais Isoha m'en empêche.

_ Alia compte sur vous, se contente la reine d'une voix blanche.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant