Alia

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_ Je croyais les Amazones plus résistantes !

Le général persiffle. Il me met chaque jour un peu plus à l'épreuve. C'est à peine si je quitte la salle d'armes. Même l'Amiral a renoncé à ses leçons. Parfois Mentis, comme Méphistès, viennent assister au spectacle. Hippolyte ne se serait pas montrée plus dure. Ceci dit, je progresse.

_ Allez, reprenez la garde.

Morte de fatigue, j'exécute. Je fais sans cesse les mêmes gestes, un coup en haut, milieu, en bas. Pas une seule fois nous ne sommes passés au combat. Je me revois petite fille apprenant à bander mon arc, à ficher sans relâche des flèches dans une cible chaque jour plus éloignée. Mon corps agit seul désormais. Je dors debout. C'est mieux que dans ma cabine. Mon cauchemar ne me quitte pas. Toujours la même scène, toujours les mêmes détails, les mêmes visages. L'homme au masque ! Toujours la même colère, de la rancœur aussi, pas de la haine non, juste un abîme d'amertume, un remord infini et secret. Voilà le mot qui convient « secret », car après bien des nuits, je suis toujours incapable de voir le visage de ce spectre. Malgré tous mes efforts, son linceul ne se dévoile pas.

_ Allez, on arrête de jouer. Tenez moi ça, ordonne Kalian en me tendant un glaive.

J'hésite. Je ne suis pas tout à fait prête pour le combat. Un coup et mes jambes me lâcheront lamentablement.

_ Mentis, tu veux essayer.

_ Ce sera moi, si ça ne vous dérange pas, intervient Méphistès. Il ne faudrait pas que vous nous l'abimiez.

Le général accepte de bonne grâce. Personnellement la présence de mon frère me rassure. Je ne suis pas sûre que les Atlantes retiennent leurs coups. L'échange commence. Nous y allons doucement, pour nous échauffer. Méphistès évalue l'élève puis il lance un premier assaut. Malgré la fatigue, je le pare avec succès. Bien, le maître a été bon. À moi à présent, j'évite son rond de jambe. Il me sous-estime. Je n'ai pas été formée à tuer mais l'art de l'esquive est bien connu des vierges d'Artémis. Il est utile à la chasse. J'attaque vers la tête mais il ne cède pas. Les coups s'enchaînent rapidement avec adresse.

_ Pas mal !

Son deuxième assaut est bien plus violent mais je parviens à compenser ma faiblesse physique par ma rapidité. J'avance, j'avance et avance encore. La lame vibre sous mes doigts, vivante, elle me parle, choisit elle-même les coups, guide mon bras. Les bottes sont précises, habiles et violentes. Une ombre fantomatique prend le relai et combat à travers moi. Froide, lumineuse, elle dévie les ripostes du pirate avec une facilité déconcertante, prévoyant toujours où il frappera. Elle attaque encore. Je ne suis plus que son jouet. Mon frère sera bientôt vaincu. Grisée, je laisse la voix d'Hadès, douce et familière, parfum enivrant, tirer les coups. Un glaive tombe. Le tintement du métal sur le sol me ramène à moi. Je vacille. Les trois hommes me dévisagent curieux et effrayés à la fois.

_ Je te reprends ça, si tu permets, se dépêche Méphistès, tu vas blesser quelqu'un.

_ Les voix d'Hadès ?

_ Je crois qu'il n'est pas vraiment nécessaire de vous apprendre à combattre, suggère le général.

_ Vous avez vu, Kalian. Un seul homme se battait de cette façon là, précise Mentis.

_ En effet, répond le général. Mon père a raison.

_ Raison ? Vous m'avez testée !

_ C'est le glaive de Timos, un des colosses de l'Atlantide. Leurs ombres vous protègent, apparemment.

Je voudrais en savoir plus mais nous sommes interrompus par un homme d'équipage.

_ Général, le delta du Nil.

_ Princesse, il est temps de vous préparer. Les combats ne sont plus d'actualité. C'est en diplomatie qu'il vous faudra gagner. 

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant