Depuis l'incident à la palestre, la vie a repris son cours dans l'andréion. J'ai naïvement cru que le titre d'amant royal servait uniquement à distraire les princesses et à leur donner des filles mais je me suis trompé. Les hommes participent à toutes sortes de tâches pour la vie de la cité.
Il existe en leur sein une hiérarchie scrupuleuse. D'une part les esclaves mâles, reconnaissables à leurs cheveux rasés et leurs tuniques courtes, souvent achetés ou capturés à l'extérieur du royaume sont utilisés aux travaux les plus pénibles, de force essentiellement. Ils ne vivent pas directement avec nous, appartiennent tous à la reine et nous doivent un respect dû à notre rang. Aucun n'a du sang amazone. Puis viennent les enfants mâles, du moins ceux qu'elles ont bien voulu épargner. Ils sont très peu nombreux. Devenus adultes, on les laisse devenir artisans ou contremaîtres. Beaucoup travaillent les champs dans la campagne environnante. Ils ont également les cheveux courts des esclaves mais portent la marque d'Apollon. Ils n'appartiennent à personne et visiblement ne sont pas grand-chose. Les Amazones traitent ces deux catégories dans le meilleur des cas avec une totale indifférence. Cette présence masculine, habilement disséminée dans tout le royaume permet de maintenir un niveau de naissance décent. Enfin les prises de guerre ou tout homme ayant l'honneur d'être considéré comme tel peuvent intégrer le rang si envié d'amant royal. C'est notre cas à Baal ou à moi. Certains anciens combattants servent de compagnons d'armes aux guerrières. Elles aiment se mesurer à eux. Par groupe, ils exercent aussi leur art comme vigiles d'incendies, la nuit, ce qui est courant dans les cités du continent. Je m'attends à ce que l'on m'affecte à cette fonction mais il n'en est rien.
Les jours passent et je me languis d'autant d'inactivité. On attend quelque chose de moi mais quoi ? Je n'ai pas revu Alia depuis son escapade remarquée, comment pourrais-je savoir ? D'autres hommes, lettrés, servent dans l'administration du royaume, le prélèvement des taxes, les marchés mais aussi le port ou l'approvisionnement en eau potable. Ce domaine paraît poser problème. Larchos, ravi d'avoir un atlante sous la main, me confie un recensement et une évaluation des citernes de la cité royale. Un tel travail de gratte papier est contraire à ma nature plus active. Mais, vues les circonstances, je ne fais pas le difficile. Je découvre un endroit très inattendu. Larchos exige la remise en état d'anciennes citernes abandonnées; encore faut-il savoir où elles se trouvent. Un des scribes du gouverneur me conduit dans une magnifique bibliothèque. Certes elle n'égale pas celle de l'Atlantide mais je ne m'attendais pas à en découvrir une ici, dans l'andréion. On me présente des descriptions anciennes de la cité faites par les chroniqueurs de l'époque. Je me mets au travail. Les heures passent. La tâche n'est pas simple. Chaque chroniqueur, probablement esclave ou amant, a écrit dans sa langue d'origine. Dessiner un plan relèvera du prodige. Je comprends pourquoi Larchos m'a choisi. Il est vrai que je maîtrise presque toutes les langues du monde connu. Je lui réclame des scribes, il me les donne.
Très vite, je réalise quelle utilité peut avoir notre place dans la cité. Privés de liberté certes, certains peuvent toutefois gagner une influence considérable auprès de la reine. Ce travail me plait finalement. Je commence à avoir une idée précise de la cartographie de la cité. C'est toujours utile pour une future évasion. Même si je sais cela complètement inutile, je n'ai pas renoncé. Personne n'a encore dessiné un plan et je dois m'y prendre à plusieurs reprises avant que mes assistants comprennent où je veux en venir. Mes colères deviennent légendaires. L'Atlantide a reçu de Prométhée tout le savoir des dieux : ce n'est visiblement pas le cas de tous. Larchos espère tirer profit de ce savoir. Je ne peux pas lui en vouloir.
Au bout d'un mois, mon plan me semble assez bon pour commencer mes prospections sur le terrain. Certes il me faudrait l'autorisation de ma protectrice pour sortir de l'andréion mais je compte bien sur une simple formalité. Certains points m'inquiètent. La cité s'abrite de façon relativement classique derrière deux remparts. La première muraille, ponctuée de tours de garde, protège la ville basse ainsi que les temples d'Arès et d'Apollon. Sur un promontoire, la seconde enceinte, plus petite, défend le palais royal, l'andréion ainsi que le temple d'Artémis. Mais au gré de mes lectures, j'ai glané ça et là un nom qui ne m'est pas étranger : Dédale. Le célèbre architecte me réserve sans doute quelques surprises. On dit chez nous qu'il est toujours double et que ses cités sont de même. J'ai du mal à percevoir comment.
Larchos a dû prévenir Alia de nos besoins car, tôt un matin, je la découvre près de mes documents. Elle a maigri et manque visiblement de sommeil. Mais toujours le même feu dans les yeux dévore de curiosité naïve les signes qui dansent sous ses doigts. Sa tenue de cour, sa coiffure apprêtée, son visage discrètement maquillé lui donnent plusieurs années de plus, davantage de féminité. Elle cache sa fatigue, maladroitement dois-je dire. Sa main droite est bandée. Elle s'est donc blessée. Comment ? Cela m'importe peu en vérité. Je ne désire que son autorisation de sortie et qu'elle quitte rapidement les lieux :
_ Que faites-vous ici ?
Elle ne répond pas. Elle observe avec circonspection la bibliothèque, son étendue et son volume. Cette manière qu'elle a de se murer dans le silence m'agace au plus au point. J'ai l'impression d'être transparent et de me retrouver face à une adolescente détestable et fuyante. Elle continue l'inspection méthodique de mes rouleaux. Son intérêt double quand elle trouve le plan. Elle suit du doigt les lignes des rues, des remparts, des places et des temples. Je comprends soudain et ne peux contenir une raillerie :
_ Vous ne savez pas lire !
Son regard aurait sûrement voulu m'anéantir. Ses poings se serrent si fort que le sang commence à apparaître au travers du bandage. Elle ne décroche pas sa mâchoire. Hippolyte m'aurait frappé sans hésiter. Je ne suis qu'un esclave. Mais Alia endigue sa colère dans un murmure :
_ J'aurais dû vous laisser mourir.
Elle quitte la pièce. Puis ses pas martèlent de nouveau le sol de mon étude.
_ Vous ne quitterez pas l'andréion, ordonne-t-elle impassible. Que vos assistants s'occupent de la cité !
La vengeance contenue peut s'avérer terrible quand on a la force d'un maître. Je tâcherai de m'en souvenir.
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Déluge
FantasíaAlia sait qu'elle va mourir. Sa sœur la tuera lors du combat de succession au trône des amazones. Elle n'a pas peur, la mort est une vieille compagne qu'elle attend en profitant de sa liberté. Mais un navire étranger bouscule son destin. Elle va dev...