Déluge

Alia

Il boude. Le sentiment peut-être que je me sers de lui. J'évite, c'est vrai, de le mettre dans la confidence au cas où. Je ne suis pas sûre de réussir à refaire l'antidote. J'ai vu sa composition en touchant le creuset d'Isoha mais l'erreur est possible. J'en ai trop conscience pour le faire espérer. Je m'approche. Des algues d'un vert transparent et lumineux brillent faiblement : les algues de lumière. Avec mille précautions, j'en détache la quantité que je juge nécessaire pour deux essais.

Il me fixe. Des plantes ? A-t-il compris ? J'évite de croiser son regard. Il hésite : espoir, déchirure, colère, tout se mêle dans une tempête vertigineuse.

_ Tu me renvoies sur l'Atlantide ?

_ Tu dois retourner près des tiens.

Je ne veux pas de cette confrontation. Je n'ai rien décidé. Déchirée entre mes sentiments, ma loyauté envers mon peuple, ma peur de l'inconnu au visage de fer, je ne sais quelle décision prendre. Bien sûr, je l'aurais suivi au bout du monde si j'avais été certaine de faire le bon choix. Mais sur ce bûcher funèbre, si c'était lui ? Si me ramener sur l'Atlantide était pris pour trahison ? S'il mourrait par ma faute, je ne le supporterai pas.

_ Je ne te laisserai pas, continue-t-il empressé.

_ Nous n'aurons peut-être pas le choix.

_ Hors de question !

Sa voix se perd en écho sonore. Son incompréhension est totale. La colère durcit son visage divin. Jamais il n'a songé que je puisse vouloir rester. Je voudrais le rassurer mais ce ne serait que pour mieux le blesser plus tard. Je reste figée, silencieuse, d'une lâcheté exécrable. Je suis décidément pitoyable dans la gestion des sentiments. Sa main effleure mon menton qu'elle redresse, puis ma joue. Je frissonne. Ses yeux n'expriment que la douleur de ma trahison. Je m'y perds. Soudain un éclair d'effroi voile son regard.

_ Non, souffle-t-il, je ne te laisserai pas te sacrifier.

Je repousse son emprise. Mon cœur bat la chamade. Il faudrait que j'apprenne à mentir. Comment peut-il me déchiffrer si facilement ? Je devrais être plus forte. Je serre dans mes mains le petit sachet de cuir où repose ma récolte.

_ Tu ne me sauveras pas malgré moi, murmure-t-il m'enlaçant dans le geste le plus tendre qui soit.

Je suis comme foudroyée. Il marque un point. L'antidote doit être bu, et cela est facile à obtenir, mais il doit aussi pénétrer les chairs. Or je vois mal comment faire sans son accord. Un désespoir immense m'envahit. L'idée de l'échec me brise.

_ Viens, susurre-t-il, tout se passera bien.

J'hoche la tête. Si je pouvais être certaine... Le futur est un fleuve qui noie ceux qui s'y perdent. C'est ce que Perséphone a dit. Un brouillard épais envahit mon esprit. Je me souviens du courant qui me tirait sans cesse vers un fond dérobé, vers la chute, le froid glacial qui engourdissait mes muscles, le goût écœurant de cette eau turbulente.

_ Chut, souffle-t-il. Reste avec moi. Cela devient une très mauvaise habitude, Ne peux-tu jamais rester à l'endroit où tu te trouves ?

_ Je suis navrée.

_ Tu as peur. Mais je serai là, tu seras celle que j'ai choisie. Tu rêvais d'y aller. Pourquoi hésiter maintenant ?

Je voudrais tant que cela soit possible. J'aimerais croire qu'il suffit de céder à mes désirs. Mais ai-je le droit de tourner le dos à mon peuple ? Nous luttons contre des ennemis sans visage. Quelqu'un parmi nous trahit les siens. Lui reste invisible aux voix d'Hadès. Je ne comprends pas pourquoi. L'Atlantide a besoin de lui, les miens de moi. Cette évidence est trop présente à mon esprit pour retarder ma décision.

_ Je ne te laisserai pas, prévient-il.

_ Je sais.

Le silence s'insinue entre nous, douloureuse distance. Chacun veut sauver l'autre mais pour des raisons différentes. Une expression de doute traverse son visage.

_ Je reviendrai te chercher si tu essaies, même si tu réussis.

_ Je sais, soufflè-je écorchée.

Il lutte en vain. Pourquoi ne renonce-t-il pas ? Sa souffrance et la mienne sont aux antipodes. Ne le voit-il pas ? Ma tristesse est infinie. Il ne la comprend pas.