Alia

241 23 0
                                    

À l'annonce de l'ambassade, il blêmit, si toutefois cela est possible. Mais oui, de spectral il est devenu transparent. Qu'imagine-t-il? Que redoute-t-il ? Peu m'importe en vérité. Je tiens ma vengeance et visiblement je la tiens bien.

Malgré mon désir de laver l'affront, je ne peux m'empêcher d'admirer son élégance, sa prestance naturelle. Les amants fanfarons, brutaux de ma sœur ne tiendront pas la comparaison. J'en suis assez fière. Cette journée s'annonce fort instructive. Je lui fais signe de me suivre. Nous sortons de mon appartement et traversons le long corridor qui conduit à la salle du trône. J'ai, il est vrai, mais sans malice, omis de lui dire que la réception commencerait par un accueil officiel de nos invités. Ma mère veut y mettre les formes. Je lui explique rapidement le protocole, la position du trône royal en or, perché sur une estrade puis les deux trônes princiers en argent, une marche plus bas, répartis de chaque côté du précédent. C'est là que nous irons, Hippolyte à gauche, dû à son rang d'aînée, et nous à droite. Les amants doivent se placer derrière le trône de leur maîtresse, silencieux pendant l'audience. Mais il aura l'occasion de se rattraper pendant le banquet.

Les tambours sourds des cérémonies funèbres retentissent sous les colonnades de la salle du trône. Nous nous installons. Je trouve ma mère crispée, presque anxieuse. L'ambassade hyksos fait son apparition, leur roi en tête, ses guerriers puis les membres éminents de sa cour. Je n'ai jamais vu ces hommes avant ce jour et, à dire vrai, je me demande pourquoi ils inspirent tant de crainte. Le jeune roi avance sûr de lui avec une figure qui ne manque pas de charme. Trapu, très mat, le corps entraîné par de rudes combats, les yeux noirs et le nez busqué, je suis à peu près sûre qu'il pourrait plaire à ma sœur. Toutefois il se dégage de son allure une sorte de fourberie, de duplicité maligne qui me met assez mal à l'aise. Arrivé au bas de l'estrade, il plaque son poing sur sa poitrine dans un geste viril qui se veut obligeant. Un œil furtif se pose sur Iolass. L'ennemi d'hier ne peut réprimer un sourire jubilatoire. Il présente alors ses hommages à ma mère :

_ Mon père, le Grand Roi est mort, il y a sept lunes. Comme fils, je me dois de répandre ses cendres sur les ruines de l'antique cité d'Avaris. Mais la mer, en cette saison, est capricieuse et nous vous demandons escale pour la nuit.

Son discours me semble trop préparé, récité de nombreuses fois à l'avance. Sa voix nasillarde a des accents de victoire qui sied mal aux circonstances. Dans mon dos, je sens le combat que mène Iolass pour ne pas lui sauter à la gorge. J'ai remarqué sa dague brillante à la ceinture. Je suis sûre qu'elle le démange. Mais ma mère répond en mesurant ses paroles :

_ Bien que j'ai combattu plusieurs fois votre souverain, il méritait aux yeux de son peuple son titre de Grand Roi. Sa perte pour vous est une grande souffrance. Avez-vous le laissez-passer de Pharaon ?

Un guerrier porte un rouleau à Tirésias qui s'avance au pied de nos trônes. Mon jumeau confirme. Il sait lire, lui ! Comment ? C'est injuste. Il ne m'en a jamais parlé. Cela ne me piquait pas avant.

_ Nous partagerons votre douleur ce soir et vous pourrez vous ravitailler. Vous règlerez cela avec la plus jeune de mes filles, la princesse Alia.

La reine rappelle ensuite les lois de notre cité. Seules les esclaves de Méphistès et mon amant, qu'elle ajoute pour l'occasion, serviront d'intermédiaires. Je crois bien que je souris. 

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant