Alia

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J'ai si mal ! Ma respiration me torture à chaque inspiration. Des dagues dans les poumons me lacèrent. Ma langue pâteuse me renvoie sans arrêt le goût âcre de l'eau salée. Mes membres pèsent trop lourd pour que je ne tente le moindre effort.

J'ouvre péniblement les yeux. Mon esprit embrumé met du temps à reconnaître les murs tranquilles de mon appartement. La pénombre qui y règne me facilite la tâche. Toute lumière m'aurait aveuglée. Je m'apaise. Akra s'est blottie contre moi. Pourtant j'ai froid. Sa fourrure ne me réchauffe pas. Un courant glacé, douloureux et pénible engourdit mes veines. Je veux me lever, me rapprocher du large foyer mais le vertige me cloue au lit. Le feu crépite au loin dans la pièce. Je redouble d'effort. Je suis maintenant assise ; ce n'est pas si mal. C'est alors que je l'aperçois. Iolass n'a pas regagné l'andréion. Pourquoi ? Comment suis-je revenue ici ? L'obscurité, le doute ont envahi ma mémoire. Juste une étrange impression, une angoisse sourde, indicible. Pourquoi ? D'ailleurs où sont mes affaires ? Je ne les trouve pas. J'ordonne à mon corps d'obéir et le contrains à me redresser. Titubante, je ne trouve rien. J'ai beau chercher dans le moindre recoin, mon regard éperdu ne voit rien. Panique. Mes mains se mettent à s'agiter. Tout ça pour rien ? Non, et Cyrène... J'étouffe.

Je chancèle jusqu'à la terrasse. Je voudrais partir, rejoindre le temple d'Artémis mais mon corps me trahit. Une langueur terrible m'emprisonne. La forêt bruisse avec fureur. Son murmure traverse chaque pore de ma peau dans un cri désespéré. Ça n'a pas de sens. Je frissonne. Prisonnière d'une hébétude étrange, je ne le sens pas approcher. Je l'ai cru endormi, inconfortablement assis contre le pilier de ma cheminée. À présent, il m'enveloppe délicatement dans une lourde couverture de laine. Ses mains s'attardent un peu, m'enlacent inquiet.

_ Ça va ?

Je me retourne. La lune renforce la pâle beauté de son corps argenté. Il s'est changé mais porte toujours une tenue atlante. Sur les bordures de son col échancré, un fil d'or et d'argent dessine de magnifiques inscriptions. Irrésistiblement attirés par les signes brodés, mes doigts se mettent à les caresser dans un geste incontrôlé. Ils épousent méticuleusement leur contour et leur course, reviennent sans cesse sur leurs pas, froissent avidement le tissus nacré. Mon esprit s'enfonce dans sa torpeur. Des voix lointaines s'engouffrent dans ma tête. Au-delà de l'espace et du temps ! Non ! Pas encore. Je lutte. Je recule d'abord sans détacher mes doigts accrochés à son corsage. Je renonce et enfouis mon visage contre son torse. Il ne me repousse pas.

_ C'est de l'atlante, chuchote-t-il.

Je tremble de plus belle, pressentant un danger. Sa voix ! Il prononce les mots dans un filet funeste. Leur douceur, leur musique m'ensorcèlent doucement. Elles piègent ma volonté. Je leur appartiens. Ces mots étrangers glissent de ses lèvres pour écorcher mon esprit fiévreux. Elle arrive. Impossible de ne pas sentir cette intruse. Mon corps se déchire en deux. Au-delà de l'espace et du temps ! La lumière est trop forte. Je suis trop faible pour résister. Sa voix me tue. Elle est là puissante, conquérante. Au-delà de l'espace et du temps ! L'autre me possède. Trop tard. Sa lumière m'embrase.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant