Alia

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Il sourit, prend délicatement mon visage entre ses mains et pose ses lèvres sur les miennes dans un élan infiniment tendre. Je le laisse faire, pire j'en ai envie. Un feu nouveau me brûle, un trouble puissant balaie tout mon être. Son regard limpide plongé dans le mien attise une impatience étrange. Ses doigts inlassables défont ma coiffure. Je me couche sur le sol froid de la grotte. Tant pis, sa chaleur me suffira. Je la lui volerai morceaux par morceaux, sur chacune des arêtes de ses muscles. Il caresse ma joue du revers de sa main. Elle me consume, je veux qu'elle me consume.

_ Nous ne pouvons pas faire ça, se ravise-t-il, sa voix teintée d'une imperceptible tristesse.

Il se lève et s'adosse à la paroi de l'autre côté du feu. De nouveau un élément nous sépare. Le froid me saisit. Je ne veux pas du froid, je veux ses bras, sa tiédeur rassurante, tout son être. Je devrais le haïr, le forcer, le traiter en esclave. Je n'y parviens pas. Une boule grossit dans ma gorge, une douleur tenace dans le creux de mon ventre. Je me refreine, me pelotonne en boule dans la robe de laine des filles de Démétrius. Son visage s'est fermé à nouveau. Les yeux rivés dans le feu, il devient cette statue de glace que je ne déchiffre pas. Je voudrais qu'il parle. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Pourtant une seule chose devrait m'obséder désormais : prévenir son « père », comme il dit. Si j'ai eu une nouvelle vision, si ce qu'il a dit est vrai, si j'ai déjà vu cela, le roi de l'Atlantide doit savoir. Peut-être la prophétie sur le navire hyksos a-t-elle un lien avec tout cela ? Nous ne pouvons pas rester là à nous apitoyer sur nous-mêmes. Ce temps là serait irrémédiablement perdu. Et du temps comment être sûr d'en avoir ? Alia, j'étais, Alia je resterai. Non, décidément je ne suis pas Hippolyte. Je ne suis pas de ces femmes qui imposent et qui prennent sans demander leur reste. Nous n'avons plus rien à faire ici :

_ Nous devons rentrer. Tu dois prévenir les tiens.

Il s'amuse de mon idée et évite de croiser mon regard. Je suis sérieuse ! Ne veut-il pas y lire l'urgence de quitter ce dangereux tête à tête ? Nous devons rentrer. Il doit partir et avertir son roi. Qu'y a-t-il d'autre à faire ?

_ Viendrais-tu avec moi ?

_ Non ! réprouvè-je incapable de quitter les miens alors que je l'ai cent fois désiré.

_ As-tu un antidote permanent contre le poison de l'andréion ?

Je ne réponds pas. C'est un coup bas. Seule la grande prêtresse d'Artémis connaît le secret de ce remède. Isoha vivante, nulle autre que sa muette ne partagera la recette tant convoitée.

_ Je le trouverai.

_ Je n'en doute pas.

_ Méphistès doit prévenir ton roi, c'est notre seule option.

_ Pourquoi pas ? répond-il laconique, un éclair mauvais au fond des yeux. Nous devons dormir à présent. Thermiscyre est à deux jours de route. Nous aurons le temps de penser à tout cela.

Thermiscyre ? Je n'ai pas envisagé les choses ainsi. L'enfant du nord ? Comment le trouver si je rentre au palais ? Je suis prise en tenaille entre deux voies, deux visions. Je ne vois pas Iolass bouger. D'abord il est là de l'autre côté puis, l'instant d'après, sans un mouvement, il se tient derrière moi et m'enlace pour m'inviter au sommeil. Je veux résister, je veux rester éveillée mais un engourdissement tranquille m'envahit. Mon cœur se met à battre plus calme, mon sang à couler plus lentement.

_ Dors, souffle-t-il. Laissons simplement les choses aller.

Je résiste encore mais l'épuisement me terrasse.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant