Iolass

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L'andréion grouille de bruits et de rumeurs. L'écho des cornes de brume du matin agite les esprits. Malgré cela, je tente de poursuivre mes activités habituelles. Comme chacun, j'ai remarqué qu'Hippolyte n'est pas venue s'entraîner avec ses esclaves préférés. Les amants de la guerrière forment un cercle particulier au sein de notre communauté. Sûrs d'appartenir à la future reine, ils règnent en conquérants, humiliant souvent les plus jeunes esclaves. Ils sont pour la plupart oisifs et trompent leur ennui dans l'entretien permanent de leurs aptitudes au combat. C'est assez pathétique de voir ces anciens guerriers s'évertuer à rester parmi les meilleurs juste pour être le compagnon d'armes d'un matin. La servitude est un étrange état. Seul Baal reste en retrait mais il faut dire que la sauvage amazone n'en a fait qu'une bouchée. C'est un chasseur pas un combattant, elle ne s'abaisse plus à l'affronter et le mande parfois pour un banquet ou pour des exercices plus affectueux.

Je suis étonné de voir mon ami venir troubler ma quiétude livresque et plus étonné encore de l'entendre dire qu'Alia a exigé que l'on me prépare pour le festin du soir. Elle fait toujours en sorte de m'éviter alors pourquoi cet intérêt soudain pour ma compagnie. Je refuse d'abord. J'ai d'autres chats à fouetter que d'aller jouer au paon devant ma maîtresse. Mais Baal sait me rappeler et me convaincre que je ne suis plus en position de me dérober. Larchos n'obtiendra pas toujours ma grâce. Je n'ai pas le choix. Je suis mon ami aux thermes. Il est également de la partie.

On nous baigne, nous masse, enduit nos corps d'huile parfumée, nous rase de près. On maquille Baal mais Alia a interdit que l'on s'en prenne à moi. Je lui en suis reconnaissant. Des serviteurs nous apportent nos vêtements. Ceux de Baal sont classiques pour un amant de l'andréion : une lourde ceinture de cuir noir ajuste une longue tunique de laine, doublée pour la saison d'une chasuble de peau retournée. Des bracelets de force en or aux marques de sa maîtresse viennent sceller les manches. Les couleurs sombres, presque endeuillées changent de l'ordinaire. Ma tenue en revanche nous laisse tous deux perplexes : c'est l'exacte reproduction de la tenue de cérémonie funèbre des Atlantes. Je ne vois que Méphistès pour avoir pu s'en procurer une. En l'examinant de plus près, je réalise que ce n'est pas une reproduction mais ma propre tenue royale. Alia a obtenu de mon père mes affaires; à moins qu'il n'ait décidé lui-même de les faire parvenir ici. Je prends plaisir à revêtir mon pantalon, ma chemise de soie pourpre qui descend jusqu'à mes cuisses en coupe droite. Il y a même mon collier royal dont le trident étincelle sur l'échancrure de mon torse. La ceinture de cuir blanc porte toujours sa dague de tritonium. Cela fait longtemps que je ne me suis pas senti prince. Devant le miroir d'argent poli, la pourpre et le noir font ressortir la blancheur de mes traits typiquement atlantes. Le blond de ma chevelure renforce l'aspect spectral de mon allure. Je vois bien le regard admiratif des servantes et retrouve le souvenir de mes années de conquête féminine. Baal rit de bon cœur et me rappelle que ce n'est pas chez les servantes que je dois séduire.

Nous empruntons le couloir des héros dans une singulière bonne humeur. Des servantes, encore, nous attendent de l'autre côté. Baal plus habitué que moi me souhaite bonne chance avant que nous soyons séparés. Il va rejoindre sa maîtresse au temple d'Arès et moi la mienne. J'accompagne donc mon guide dans l'aile ouest. Elle frappe à la porte sculptée de motifs forestiers. Une jeune fille gracile aux cheveux roux m'ouvre sans un mot. Je devine qu'il s'agit de Psyché, la muette d'Alia. Ainsi vais-je la revoir. Je ne sais pas vraiment quelle attitude adopter. Des excuses sans doute seraient de circonstance mais bien peu dans ma nature. En outre, Alia est entourée d'une nuée de servantes qui l'habillent, la coiffent, la parent et la maquillent en même temps avec une habilité déconcertante.

Je reste immobile, captivé par cet amusant manège. Les servantes ne se gênent jamais et semblent agir toutes en symbiose. Alia est une poupée obéissante entre les mains de ces petites filles expertes. Le résultat est saisissant. Elle est magnifique, royale et tellement plus femme que dans mes souvenirs. Sa robe longue, légèrement évasée, dessine doucement sa taille fine. Le vert sombre du tissu s'harmonise à la teinte à peine plus claire de ses yeux. Leur feu seul demeure inchangé. Elle hésite puis troque sa ceinture encombrée de remèdes pour une plus légère de petites plaques d'or assemblées.

_ Vous êtes parfait, me complimente-t-elle.

_ Merci. Vous-même... Les mots me manquent.

_ Ceci vous appartient, me dit-elle froidement en me montrant un coffre rempli. Votre père l'avait laissé sur le port à votre intention. Je l'ai conservé jusqu'à aujourd'hui.

Je ne sais que penser de ce présent paternel. Puis elle vient vers moi et me tend un petit coffret de bois. Je l'ouvre et le ferme aussitôt :

_ Vous n'espérez pas...

_ Je n'espère rien, me coupe-t-elle. Devant des étrangers, la marque de l'andréion doit être toujours visible, c'est la loi. Je n'aime pas plus que vous ces bracelets, ajoute-t-elle en me montrant les mêmes qui ornent ses bras.

Je cède et mets moi-même ces menottes d'or. Certes ils sont élégants, plutôt légers, mais ils disent encore trop bien ce que je suis. Elle s'assoit face à moi et m'annonce que sa mère présidera le banquet auprès de son hôte. Nous serons sur une banquette à leur droite. J'ai toute liberté de paroles à condition d'être respectueux envers nos invités. Selon moi, il est inutile de me faire la leçon. Je sais me tenir. Mais elle ne m'a toujours pas indiqué qui sont ses mystérieux invités.

_ Une ambassade venue annoncée la mort de leur roi !

Ces paroles me font pâlir. Je pense à mon père mais n'en fais pas étalage. S'il s'agit d'Atlantes, peut-être aurais-je une occasion de fuite ? Puis le souvenir du poison de l'andréion s'étale en ma mémoire. Cela me paraît pourtant un simple détail à régler. J'oscille entre crainte et espoir. Mon père ! Je ne peux quand même pas espérer sa mort. Mais si elle a eu lieu, qu'y pourrais-je changer ? Je me fais l'effet d'un fils indigne. 

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant