Iolass

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Je ne retourne pas à l'andréion mais dans les appartements d'Alia. C'est idiot mais je veux vérifier qu'elle est bien là. Elle s'est effondrée dans un fauteuil en osier, cheveux défaits, les traits tirés, un bol de soupe brûlant entre ses mains. Elle abdique enfin. Son corps rompu de fatigue lui rappelle ses limites. Elle paraît dormir, les yeux mi-clos quand, soudain, elle tourne sa tête vers moi. Je n'ai rien appris de tangible concernant sa première vision aussi me contentè-je de retirer son sceau de mon doigt et de le déposer sur une table.

_ Garde-le, murmure-t-elle, tu en auras besoin. Il te confère une certaine liberté.

Voilà qui est inattendu. Que dois-je en conclure ? L'accueil a sûrement dû être à la hauteur de mes inquiétudes, la petite a été rudoyée par l'aînée ? Psyché entre : une visiteuse tardive. Hippolyte, évidemment, accompagnée de Baal. C'est surprenant. La guerrière vient conquérante, sans se formaliser du peu de déférence de sa cadette qui ne s'est même pas levée.

La guerrière demande à mon compagnon de relever ses manches, ce qu'il exécute sans contredit. Alia dépose son bol sur la table ronde, se redresse péniblement, saisit un coffret d'ébène brut sur le rebord granitique de la cheminée. Je ne comprends pas ce qui se passe mais cette boîte ne m'est que trop familière. Alia l'ouvre devant sa sœur qui s'empare magistralement de son contenu pour en ceindre chaque poignet de l'esclave hyksôs.

_ Désormais et jusqu'à ce qu'elle le trouve juste, Baal, esclave, tu changeras de maison.

La formule prononcée, Hippolyte ne s'attarde pas. C'est trop soudain pour que Baal ou moi-même puissions réagir. Alia s'effondre à nouveau dans son fauteuil plongée dans une certaine pénombre. Elle remonte un long châle de laine sur ses épaules avant d'ordonner :

_ Rentrez à l'andréion mais soyez ici au lever du jour. Je ne tolèrerai aucun retard, nous avons à faire.

C'est très clair. Baal s'incline respectueusement et tourne les talons. Je n'aime pas ces prises de décision inattendues. Dans quoi se lance-t-elle à présent ? Depuis quand l'aînée lui cède-t-elle ses esclaves ? Que vient faire Baal là dedans ? Mon regard interrogateur est soutenu sans vaciller. Le temps des réponses n'est pas venu. Pourtant je ne parviens pas à partir. Il le faut, je le sais, mais j'ai alors ce geste étrange, inconsidéré. Je m'approche, la soulève délicatement dans mes bras. Elle se laisse faire, abandonnant sa tête lourde sur mon épaule. Je la dépose silencieux sur sa couche et la borde comme je l'aurais fait d'une enfant. Elle ne résiste pas. La farouche chasseresse cède à un épuisement triste. Son regard inexpressif attend... À quoi renonce-t-elle ?

_ Tu devras m'expliquer.

_ Demain, se contente-t-elle.

Elle ferme les yeux et me fuit dans le sommeil. Elle gagne du temps. Pourquoi pas ? Je sors de l'appartement et rejoins l'andréion. Soudain la porte des héros me fait horreur. J'ai oublié un peu ma condition d'esclave ces derniers jours. Il me faut pourtant la reprendre. Je touche machinalement le sceau qu'elle m'a confié. Me permet-il réellement de quitter ce lieu à ma guise ? N'est-ce qu'un leurre ? Les gardiennes ouvrent sans un mot. Les gonds se referment. L'andréion, à nouveau. J'évite tout pour me jeter dans ma cellule. Baal me reçoit impatient d'obtenir des explications. Je n'en ai aucune. La nuit sera longue.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant