Alia

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Je l'ai vu. Allez, il faut sauter. Pas d'autre choix. Attendre c'est risqué, pire, c'est être sûre d'être découverte. Je ne rentre pas bredouille. Inutile de gâcher cette chance. Mais mes jambes flanchent, mes forces m'abandonnent. La masse sombre se fond ondulante dans les ténèbres. Son opacité vertigineuse vampirise mon courage. Pourtant y songer davantage ne fait que me torturer. Allez, à trois... Comment sauter ? Je hais l'eau. Apprendre à nager a été un tel calvaire. Même ma mère n'a pas insisté. Oh, bien sûr la baignoire de mes petits thermes, pas de problème ; quoique toujours le caldarium et jamais dans le tépidarium. L'immensité mouvante de la mer, perdre pied, tout cela me pétrifie sur place. J'en ai des sueurs froides. Une angoisse lointaine me saisit, irraisonnée. Je ne pourrai pas. Je tremble ! Indigne, bouge-toi ! J'essaie à nouveau. Impossible !

Je me plaque contre le mur en bois de la tente royale. Ils sont là, déjà. Je suis coincée. Une solution, vite. J'entends les conversations animées à l'intérieur. Peu importe, saute bon sang, saute ! Mais la voix du roi m'attrape au passage. Non pas qu'il m'ait vue, qu'il s'alarme ou que ses sbires soupçonnent ma présence. Non, plutôt comme on prend une proie dans un filet, je ne peux m'en détacher. Je n'y comprends rien. Du hyksos ! Je ne parle pas cette langue. Pourquoi les sons résonnent-ils détachés, amplifiés dans ma tête. Je suis prisonnière de sa voix nasillarde. Un léger fourmillement m'engourdit l'esprit, un lointain écho m'arrache des chimères insoupçonnées. Si seulement je pouvais traduire...

Un grand éclair foudroie mes yeux. Tout va si vite ! Tout mon être se fracasse ! Les images pleuvent sans que je puisse n'en retenir aucune. Une avalanche de couleurs, de mouvements chavire ma volonté. Et puis... Une voix. Lointaine, différente, suave et douce, intemporelle. Au-delà de l'espace et du temps ! Ces mots se répètent sans cesse dans un murmure irréel. Je connais ces mots, je connais cette voix ! Le vertige tétanise mon corps. J'ai froid, si froid. Puis l'éclair à nouveau frappe mon corps glacé. Du sang ! La peur ! Non, pire encore! Cela va trop vite. Encore ? Pourquoi ? La mort ! Un peu, partout ! Au nord, au nord ! Au-delà de l'espace et du temps ! Les derniers, les derniers se sont réveillés. Quoi ? Trahison ! Ce mot plus net que les autres retentit comme une plainte. Tout à coup une rue sous un soleil éclatant se détache. Je l'ai déjà vue, elle m'est familière. Mais pourquoi toutes les portes sont-elles closes ? Cela n'a pas de sens. Déserte... Soudain, un petit garçon déboule entre les pieds de mon cheval ? L'image s'immobilise. Je vacille. Le temps se suspend. La forêt ! Des résineux ! La mort, là-bas. Le petit ? Ses yeux sont trop sombres, ses cheveux trop noirs. Il ? Il pleure ? Non, il a peur. C'est lui qui est terrorisé. Trahison ! Encore. Le vertige me vainc. Plus rien. Non ! Je veux savoir. Qu'on me laisse, je dois savoir. L'obscurité me saisit, m'aspire, mon corps lui-même se disloque. Le froid m'enveloppe, le goût du sel. Plus rien. Je sombre...

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant