Alia

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Impossible de dormir. Le luxe sobre de mes nouveaux appartements, les images douloureuses de cette journée, un sentiment nouveau draine une culpabilité sans fin. Qu'il est simple de ne s'occuper que de soi ! Psyché, elle, a paisiblement trouvé le sommeil. J'envie sa destinée, bien définie, exempte de soucis, de désir ou de volonté. Elle me suit en tout, elle a été choisie et élevée dans ce but. C'est tout.

Je me lève et découvre la large terrasse qui surplombe la fin des bosquets d'Artémis. Pourquoi l'aile ouest ? Déroutée, j'ai écouté aveuglément l'avis d'un homme que je ne connais pas. À présent ma curiosité reprend le dessus. Pourquoi l'aile ouest ? La question reste entière. C'est certes la partie la plus proche de mon ancien temple. Je ne m'y sens pas trop dépaysée. Certes je peux m'enfoncer par la terrasse dans la canopée forestière en un clin d'œil et tromper un peu mieux la vigilance des gardes. Mais je doute que le conseil ait un quelconque rapport avec la fuite. Je dois retrouver cet homme pour en savoir davantage. Retrouver Larchos signifie retourner là-bas, dans ce lieu que je ne parviens même plus à nommer. Pourtant une idée totalement incongrue me traverse l'esprit.

Sans réfléchir, je cherche ma ceinture de remèdes, sûre qu'on me l'a laissée. Elle m'attend suspendue à un clou de ma chambre. Je me saisis d'un sachet de toile, compose, mélange et y dépose une infusion d'herbes de ma composition. Sans réveiller ma muette, je sors de mes appartements. Contrairement au temple, je peux aller et venir à ma grise. Cette liberté nouvelle me grise. Je plonge à nouveau dans le long couloir des héros et me fais ouvrir la porte d'Atlas. Les gardes n'hésitent même pas. Ma présence ici est légitime. Je croise un esclave et lui demande de m'indiquer le chemin. Lui non plus n'hésite pas. Il s'incline respectueusement et obéit avec un calme qui tranche tellement avec ma nervosité. Il m'accompagne puis me laisse seule devant la porte. Étrange porte en vérité. Les cellules ou chambres, je ne sais comment les appeler, ne sont fermées que par de lourdes tentures de toiles.

Je soulève cette barrière illusoire et pénètre sans bruit dans l'obscure pièce. Deux lits de part et d'autre d'une petite salle sans autre meuble que deux coffres de rangement et une table sous une lucarne haute. Deux lampes à huile offrent une faible lumière. Le prince Iolass est là, allongé à gauche, tremblant de fièvre, son poignet bandé. Je m'approche.

_ Il va bien, ne vous inquiétez pas. Cela fait toujours ça. Le choc de la brûlure. Ça passe, me fait sursauter une voix masculine de l'autre côté de la pièce.

_ Vous ! Vous êtes, hyksos, bafouillè-je maladroite.

_ Ah, vous l'avez remarqué. Comme une vingtaine d'hommes en ces lieux, murmure une sorte de géant amusé. Je me nomme Baal et j'appartiens à votre sœur.

Il me montre sa marque. J'examine avec attention cet homme de deux fois mon âge, aux yeux sombres et vifs. Son corps athlétique me fait penser qu'il partage avec Hippolyte le goût de l'exercice et des armes.

_ Larchos m'a demandé de veiller sur lui, alors ne vous inquiétez pas. Un ordre du gouverneur ne se discute pas. Il s'est déjà réveillé une fois.

Je ne réponds pas. Je ne sais que faire. Je ne sais même plus ce que je suis venue chercher.

_ Vous ne devriez pas rester, vous savez. C'est pénible pour vous et ça le serait pour lui si...

Mais je l'interromps comme pour justifier ma présence :

_ J'ai amené des herbes. Elles soulagent la douleur et font partir la fièvre.

_ Je lui donnerai.

_ En infusion. Trois cuillères du mélange...

_ J'ai compris.

Je laisse le sachet, esquisse un sourire et me retire. Je me trouve sotte et maladroite. Penaude, je rejoins mes appartements sans davantage trouver le sommeil.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant