Alia

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Hippolyte me foudroie. Le tir a été net et précis: en plein cœur. Je suis douée pour ça. Je reste là tranquille, satisfaite. Mon message est claire : les gamines grandissent vite. Que ma sœur tâche de s'en souvenir.

C'est pure fanfaronnade mais elle l'a cherché. Elle fulmine. J'ai gagné la partie, mieux vaut ne pas s'éterniser. Je replace l'arme à l'endroit exact où je l'ai trouvée, contre le mur de la palestre. Se faisant je me rends compte que c'est le sien. Ma sœur aime venir s'entraîner ici et se mesurer aux hommes. Elle aime les défier, leur rappeler qui est le maître. Ironie du sort son propre arc vient d'offrir la délivrance qu'elle refusait. Le calme revenu, je retourne à mes appartements. Faisant volte face, je vois le prince atlante. Je ne peux pas le manquer, flanqué de son compagnon de cellule, il ne perd pas une miette du spectacle. J'ignore comment mais, venant en ce lieu, je n'ai pas un instant pensé le rencontrer. C'est stupide, pourtant cela ne m'a pas traversé l'esprit. Il va bien apparemment. Le bandage de sa main gauche a fait place à un simple pansement. Nous nous dévisageons silencieux. Aucun de nous ne trouve les mots pour dire ce qu'il aurait fallu. Je baisse les yeux et m'éclipse. C'est si lâche ! Une telle attitude me ressemble si peu. Je m'en veux d'être si peu maître de moi en sa présence. Il perçoit mon trouble, à n'en pas douter. Cela lui donne du pouvoir sur moi. Je déteste que l'on puisse ainsi avoir un tel poids.

Mais puisque je suis dans l'andréion pour une autre affaire, je demande à voir Larchos. Un jeune esclave me ramène dans la première cour et m'indique une cellule qui ne sert que d'entrée, au plus près du couloir des héros. Elle forme une sorte d'antichambre où un scribe attend centré sur son travail. Il lève à peine les yeux et pénètre dans une autre pièce derrière lui. J'entre dans un bureau rempli de rouleaux du sol au plafond. J'en suis surprise mais n'en dis rien. L'andréion est décidément bien étrange. Larchos arrive d'une autre porte à droite qui semble ouvrir sur un petit appartement à terrasse. Sa longue barbe blanche soigneusement taillée me fait penser au roi des Atlantes. Mais Larchos a quelque chose de plus commun, de plus terrestre. Ses traits rustiques, sa peau cuivrée me donnent à penser qu'il doit, ou du moins a dû être beau autrefois. De quel royaume vient-il ? Le poids des âges a effacé la trace de son origine. Je me demande d'ailleurs s'il est de ces hommes capturés ou de ses enfants mâles qui sont gardés pour servir dans l'andréion. Peut-être connaît-il l'homme qui m'a donné la vie ? Notre langue n'a pas de mot pour désigner ce nom « père ». Mais depuis mon audience avec le roi, cette question me hante. Qui m'a conçue ? Quel homme a approché ma mère d'aussi près ? Peut-être la réponse est-elle dans ces rouleaux ? Mais c'est une autre réponse que je cherche ici.

_ Princesse, que puis-je pour vous servir ?

_ Pourquoi vouliez-vous que j'habite l'aile ouest ?

J'ai l'habitude d'être direct. Il ne s'en formalise pas :

_ Ah, c'est donc cela. Je ne voulais rien. Je n'oserai pas, répond-il avec l'expérience habile de sa vie servile. Disons que c'était un conseil.

_ Vous jouez sur les mots.

_ Vous avez beaucoup usé la patience maternelle en jouant avec les secrets du palais. Mais je constate, non sans joie, qu'il vous en reste encore à découvrir.

_ Que voulez-vous dire ?

_ Votre tante, Isoha, a vécu longtemps dans cette partie du palais, bien avant le décès de notre défunte reine. On raconte qu'aimant l'art d'Artémis, elle passait ses jours et ses nuits à confectionner des remèdes. Elle a bâti de ses mains un laboratoire secret dans ses appartements. Four, creusets, de l'eau coulant en permanence, tout s'y trouve.

_ Tout ce que l'on raconte n'est que chimère le plus souvent.

_ Parfois oui, parfois non.

L'information est précieuse et suffisante pour aiguiser ma curiosité. Enfin une bonne nouvelle. Mais je dois en savoir plus :

_ Pourquoi un tel secret ?

_ Pour ne pas dévoiler trop tôt ses intentions de passer sa vie dans le temple d'Artémis. La Grande Prêtresse vivait encore et votre grand-mère n'aurait guère approuvé ce choix.

_ Ma mère ne l'approuve pas non plus pour moi.

_ Les choses sont différentes. Ne la jugez pas trop durement.

Je ne sais que répondre. Ce que je voudrais dire n'est pas très respectueux à l'égard d'une souveraine. J'ai ma réponse. Elle me convient. Mieux elle m'excite. Si je retrouve ce laboratoire, je pourrai essayer de trouver l'antidote au poison hyksos. Voilà qui redonne un souffle à mon existence. J'ai promis. La vie au palais est d'un tel ennui. En sortant je l'aperçois encore : Iolass... Sans un mot, sans même un regard, il me frôle. Son être entier marque une colère contenue, une frustration dévorante. Mais mon cœur est plus léger, mon humeur plus joyeuse. Je ne fais pourtant aucun pas vers lui. La lâcheté toujours. Je me méprise pour ça.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant