Déluge

Iolass

Pourquoi cet abîme nous sépare-t-il ? Pourquoi nier son destin ? Elle doit me suivre. Aucun des mots que je prononce n'arrive à la convaincre. Même chez Hadès, j'étais parvenu à la rejoindre. Quel mur nous sépare à présent ? Je m'avance et enfouis tendrement son visage sur mon torse. Que puis-je espérer ? Ressentir suffisamment ses émotions pour pouvoir les comprendre, arracher à son corps les réponses qui m'échappent. Cela ne marche pas comme ça ! Je le sais mais je n'y arrive pas. Je peux croire tout ce que je veux, me donner mille raisons pour la ramener, prétendre que ce n'est que pour moi, prétendre qu'elle est juste la clef, la vérité est si simple, si crue. Elle est devenue indispensable à ma vie. Elle est cette part de moi-même que j'ai cru pouvoir dominer, étouffer. Elle est ma vie. Je me suis si souvent voilé la face. Je n'étais entouré que de femmes pâles et délicates, créatures inconsistantes de nos gynécées. Je ne pouvais savoir, m'y intéresser. Elles n'étaient là que pour mon bon plaisir, libres de façade, là pour mes intrigues, au mieux pour un héritier. Elles n'ont jamais percuté mon monde.

Alia, c'est autre chose. Elle est un météore dans mon ciel, une comète qui irradie tous mes sens, tout mon être. Elle a donné une envie, une énergie à mon destin. Peu importe qu'elle soit la clef, si elle est à mes côtés. Cela seul compte. Comme ces drogues auxquelles on ne renonce pas, je braverai le poison de l'andréion pour qu'elle vienne avec moi :

_ Je reste !

_ Non, recule-t-elle horrifiée. Tu dois rentrer. L'homme-taureau, les troubles, ton père ! Il a besoin de toi.

_ Ce ne sont que des oracles. Ils ne dirigeront pas ma vie.

_ Je ne suis rien d'autre.

Il y a tant de renoncement dans sa voix, tant d'amertume ! Ainsi j'ai vu juste. Elle ne croit pas en nous. Elle imagine être juste un trésor trop précieux pour l'abandonner. Je sens la colère, la rage déferler à toute vitesse. Ma blessure est trop vive pour qu'elle ne la perçoive pas. Elle est désarçonnée. Je devrais céder au dépit, la laisser seule dans cette grotte sans issue, l'abandonner à ses illusions, ses défenses mais le combat n'est-il pas ce que je sais faire le mieux ? Je fonds sur elle si vite qu'elle en a le souffle coupé. Il est un lieu, un état où elle ne pourra se débattre contre l'évidence. Nos corps entremêlés s'abîment dans l'onde. J'épouse chaque particule de son être de ma vie d'atlante, je fonds en elle tout ce que je suis. Elle ne résiste pas. Elle laisse son corps se perdre dans le mien dans une confiance absolue. L'eau traverse nos êtres immatériels. Elle est moi, je suis elle. Nos deux feux étincèlent sous la surface, irradiant la fraîcheur liquide qui nous entoure. Tout s'apaise. Sa frayeur, ma colère se dissolvent au fil du courant. Nous ne sommes qu'un, une vie, une âme, un seul amour. Le doute n'est plus permis.

Soudain je m'effraie, son énergie vitale n'est pas la mienne, elle fuit irrésistiblement. Alia n'est pas atlante. Oublier ce point est une erreur. Je suis égoïste. Je fonce. Elle a ce qu'elle est venue chercher. Je sors nos corps fusionnés de la grotte et nous scinde aussi vite que possible à la surface. Mais l'eau la hante à nouveau. Je suis là, inutile de s'affoler, je nagerai pour deux.

Nous rejoignons rapidement les remparts. Elle est épuisée. Dans le souterrain, je lui laisse le temps de reprendre ses esprits. L'expérience l'a déroutée. Je m'en veux à présent. Pas un instant, je n'ai pensé aux conséquences, aux risques que je lui ai faits prendre. Je l'enlace et la réchauffe. Elle ne me repousse pas.

_ Je suis désolé. Je n'aurais pas dû.

Elle plonge ses yeux émeraude dans les miens. Elle ne doute plus. Ses lèvres gagnent les miennes, timides d'abord, puis avec une ferveur qui m'emporte.

_ Ce sera juste plus dur encore, murmure-t-elle résignée.

_ Je te l'interdis !

_ Je sais.

Pour une raison qui m'échappe, elle ne rend pas les armes. Je crains juste que sa détermination n'en soit sortie renforcée.