On m'a laissé quelques jours pour me remettre.On m'a confié aux bons soins de Baal qui me donne une tisane au goût infâme mais aux vertus indéniables. Les premiers temps, je me suis demandé si je devais remercier ou haïr cet homme puis, au fil d'une conversation, il m'a expliqué comment lui-même était arrivé ici.
Il était un modeste chasseur plus au nord, de l'autre côté des montagnes. Il avait une petite masure dans la forêt, une épouse dévouée et peut-être bientôt un fils. Sa vie était paisible, bien réglée. Ni puissant, ni riche, il vivait de ses chasses et de quelques herbes rares qu'il connaissait et parvenait à vendre sur les marchés. Un jour, il avait repéré un sanglier magnifique à l'orée d'un bois que d'habitude il ne pénétrait pas. Trop près de la frontière amazone. Mais cette fois-ci, il avait suivi l'animal. Sa femme venait d'accoucher; elle était faible, l'automne déjà froid. Ce serait trop bête de renoncer à une telle prise. Très vite, il avait senti leurs présences. Il savait que les Amazones du fort, à la frontière d'Alcantara, descendaient parfois assez loin pour capturer des hommes. Mais il était un sacré gaillard. Jamais elles ne prendraient le risque de s'attaquer à un si dur parti. Le chasseur devint gibier. Elles étaient partout. Il ne les voyait pas mais ses sens aiguisés lui disaient qu'elles étaient là. Il les entendait. Elles le frôlaient parfois. Elles l'épuisaient, lentement, froidement, l'éloignant de ses repères, l'égarant dans cette forêt qu'elles connaissaient bien mieux que lui. Le sanglier avait eu plus de chance. Il était libre. Lui s'était bien défendu bien sûr mais avait cédé aux assauts des guerrières. C'était un beau morceau alors elles l'avaient envoyé puis vendu pour l'andréion royal. Hippolyte l'avait choisi. Sa vie n'était plus aussi paisible qu'avant mais l'andréion n'était pas la prison qu'il avait imaginée. Je me suis dit qu'il essayait de me réconforter, d'adoucir mon amertume. Peut-être pouvais-je ne pas haïr cet homme finalement. C'est lui qui m'a appris comment mon père avait gagné ma vie. Je n'ai pu m'empêcher de croire que la lâcheté paternelle m'avait offert une vie de servitude. J'étais aveugle encore de ce que je lui devais.
Baal m'a appris également que tout projet d'évasion n'est que pure perte. Les Amazones mettent à dose infime un poison mortel dans l'eau de l'andréion, poison contre lequel évidemment elles sont immunisées depuis l'enfance. Elles donnent l'antidote dans la nourriture. Mieux vaut avoir faim. Tout homme qui tromperait la vigilance des gardes, parviendrait à échapper à la chasse, finirait par mourir empoisonné. Je n'ai d'abord pas cru ce qui me semblait une légende. Mais à peine une semaine après mon arrivée, un jeune inconscient a tenté l'aventure. Non seulement elles l'ont rattrapé, l'ont limogé sous nos yeux mais Hippolyte l'a fait attacher à un poteau au centre de la palestre avec ordre de ne lui donner que de l'eau. Nous avons entendu les hurlements du malheureux pendant deux jours et deux nuits. Il a supplié qu'on l'achève. La douleur lui déchirait les entrailles. Nous ne pouvions rien faire pour lui. Les gardes veillaient. Les amants d'Hippolyte assistaient repus au spectacle.
Au troisième jour, l'andréion se met à bruisser d'un murmure. L'agitation familière d'une dispute violente. Baal et moi sortons de notre chambre pour nous rendre à la palestre. Les rixes entre amants sont fréquentes mais là c'est différent: Alia est furieuse. Elle ordonne que ce supplice s'achève. Les cris du fugitif s'entendent au-delà de nos murs. L'exemple a été compris de tous. Mais Hippolyte ne cède pas. C'est elle la stratège des guerrières. C'est sa prise ! À elle donc de décider ce qu'elle fait de ses proies. Alia la menace d'en référer à la reine. Hippolyte se moque. Que croit-elle donc ? Visiblement Alia n'a que peu de poids. Elle cède malgré le regard implorant du supplicié. Elle capitule. Sa sœur savoure sa victoire, son harem autour d'elle flattant son autorité et raillant l'outrecuidance de sa cadette. Qu'elle aille donc pleurer dans les jupes de sa mère ! Baal et moi sommes restés en retrait. Nous ne quittons des yeux l'infortuné qui n'en finit pas d'agoniser. Soudain nous entendons le sifflement d'une flèche qui frôle Hippolyte près de sa main droite et va se ficher droit dans le cœur du prisonnier. Un sourire de soulagement aux lèvres, il expire. Stupéfait, chacun se retourne et ne peut que constater que, si Alia a quitté le temple d'Artémis, elle n'en est pas moins restée une chasseresse redoutable. Elle repose délicatement l'arc près du carquois, contre le mur où elle les a trouvés. Puis, impassible et froide, elle envoie une révérence hypocrite à son aînée. Cela fait bien dix jours que je ne l'ai pas revue. Les circonstances rendent ses retrouvailles bien confuses. Faut-il toujours qu'un homme meure ?
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Déluge
FantasyAlia sait qu'elle va mourir. Sa sœur la tuera lors du combat de succession au trône des amazones. Elle n'a pas peur, la mort est une vieille compagne qu'elle attend en profitant de sa liberté. Mais un navire étranger bouscule son destin. Elle va dev...