Alia

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Je me laisse vaincre par l'épuisement. Cyrène se repose sur ma couche. Je préfère lui céder ma chambre. Je lui dois bien cela, un peu de confort ; c'est si dérisoire. Voilà que je me décourage ? Je suis furieuse. Méphistès m'a fuie comme la peste. J'espérais qu'il me donnerait des réponses. Il a fait porter ma ceinture au temple d'Artémis, il sait obligatoirement quelque chose. Cependant il a écourté notre entrevue sans ménagement. Il est resté muet comme une carpe.

Côté poison, j'ai tout à refaire. Certes, il est peut-être parmi ceux que j'ai volés mais je ne suis pas sûre d'en découvrir la composition. Échec après échec, je m'enfonce toute seule. Mon esprit s'égare. Je suis ballotée sans cesse par des images inquiétantes. Il ne me manquait plus que cela. Le vide s'insinue en moi. Par Artémis, que ma vie était simple avant ! Qu'ai-je fait ? Est-ce ma punition ? Le froid tombe au crépuscule, cette journée n'en finira donc jamais. J'ai l'impression d'un mauvais rêve. Je me mets à souhaiter une hibernation en bonne et due forme. Cela m'arrache un sourire. Quitter le palais, partir vers les montagnes de l'est, rester là, terrée au creux d'une grotte, attendre le printemps que leurs jeux de grands cessent de me rattraper. Ou fuir, prendre le premier navire venu, voguer vers une terre inconnue, ne plus être amazone, ne plus être personne. Je n'ai jamais été personne. Ma vie suspendue à un fil, à sa fin prévisible, n'exigeait rien de moi. Comme il doit être reposant parfois d'être une esclave ; rien à vivre, rien à décider. Oui, et finir par avaler le poison fabriquée par sa propre maîtresse. Quelle idée formidable ! Traitresse de conscience... Toujours à me ramener à la réalité. Cyrène ne mérite pas mes jérémiades. Qu'ai-je ? Il faut me reprendre. Je suis Alia, la meneuse des vierges d'Artémis, reine des aigles et des loups.

Pour le plus grand bonheur de ma raison, Psyché met fin à mes égarements. Ses gestes précis et sûrs ne me laissent aucun doute : Iolass se bat dans l'andréion à un contre trois. Les hommes aux cheveux de blé ? Hippolyte doit se délecter. Évidemment, il n'a pas choisi les plus faibles. Je dois mettre un terme à cette folie. Je me précipite.

Mon cœur s'agite plus que je ne le souhaiterais. Voilà que je suis vraiment inquiète. C'est nouveau. Que crains-je ? Que ma dernière source d'information finisse embrochée ? Non, plus que cela, je m'inquiète pour lui, qu'il soit blessé ou pire. Mais quelle idée ?

Mon entrée dans la place est remarquée. Tout est si calme. Mon agitation rompt la monotonie. Un esclave s'incline mais ne me répond pas. La palestre est vide. J'arrive trop tard. Je me dirige vers sa cellule mais l'autre est là, seul. Surpris, il me salue très respectueusement. Je le dévisage. Oui, c'est l'homme qu'Hippolyte avait choisi pour le banquet. Je n'ai pas fait très attention à lui la veille mais là c'est différent. Sa peau tannée, ses yeux sombres en amandes, son nez aquilin, sa taille colossale, comment n'ai-je pas remarqué ?

_ Vous... Vous étiez hier au banquet, devant votre roi ?

_ Oui, sourit-il avec bienveillance. Mais ce n'est plus mon roi. Votre sœur a l'art de l'humiliation.

_ Où est Iolass ?

_ Le gouverneur Larchos l'a fait mandé, répond-il comme si je devais être au courant.

_ Le duel ?

_ Je ne crois pas que ce soit la raison.

_ Non ? Comment va-t-il ?

_ Iolass ? Mieux que votre sœur !

J'en conclus que le duel a été gagné. À un contre trois, tout de même.

_ C'est qu'il est rapide, le bougre. Et habile, une fine lame.

Cela me choque. Tant de familiarité. Un prince de l'Atlantide. Entre ces murs, mon air outré est inconvenant. Tous mâles, prince, guerrier ou autre, tous sous notre joug, au mieux présents pour assurer la descendance du royaume. Le silence s'installe. Je suis gênée, maladroite. Une drôle de sensation me pénètre à peine entrée. Une sorte de chatouillement cérébral. Un brouhaha lointain, incertain. Je m'efforce de l'ignorer quand me reviennent les paroles de mon frère. Je dois l'accepter. Alors pourquoi ne pas provoquer le murmure ? J'essaie :

_ Hum ?

_ Baal, c'est ainsi que l'on me nomme, devine-t-il, que puis-je pour vous ?

_ J'ai bien conscience que vous n'êtes pas de ma maison, que je n'ai rien à vous demander mais...

_ Je vous écoute. Votre sœur ne viendra pas réclamer réparation, ne vous en souciez pas.

Bon, très bien, puisqu'il m'y encourage, je lui demande de me parler dans sa langue. C'est la seule chose dont je me souvienne. J'étais sur le navire, j'entendais le roi puis... plus rien, le néant. Peut-être que si j'entends à nouveau cette langue, ma mémoire me reviendra.

_ En hyksos ? s'assure-t-il stupéfait.

_ S'il vous plaît...

Nous nous regardons un instant, indécis, embarrassés, lui par ma demande, moi par les précautions que j'ai mises pour un homme qui n'est même pas le mien.

_ Que souhaitez-vous que je vous dise ?

_ Euh, je l'ignore, ce que vous voulez...

Une autre voix que la sienne prononce des mots incompréhensibles mais tellement familiers. Je sursaute. L'engourdissement de mon esprit se fait plus violent. Le murmure devient vacarme mais rien, rien ne vient.

_ Et si tu nous disais ce que tu cherches, demande Iolass, visiblement libéré du gouverneur.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant