J'ai tout vu. Ces hommes viennent de mourir et mon père, leur roi, n'a rien fait pour empêcher cela. Pire, il est leur bourreau. Profitant du vacarme créé par la colère de cette vipère, je quitte ma cachette, derrière le paravent. Désemparé, je fais les cent pas dans le couloir. Dois-je convoquer le conseil des officiers et mettre mon père aux arrêts ? J'ai des appuis, inutile de le nier. La vie est sacrée en Atlantide. Mais la porte s'ouvre et mon père apparaît. Il retire son masque de tritonium puis son casque. Je lui jette à la figure le venin de mes accusations, de sa trahison. Il a ce sourire terrible, empreint d'une tristesse immense.
_ Iolass, approche. Regarde.
Il appuie sur la console dans le mur et, d'un geste, la porte devient un miroir sans teint. Je la vois à l'intérieur. Elle reprend ses soins, allant de l'un à l'autre, contrôlant leur respiration, donnant à boire, titubant de fatigue, déterminée, dévouée mais si douloureusement meurtrie. Son regard est en fuite, perpétuellement en révolte.
_ Elle n'a pas dormi ni mangé depuis trois jours et trois nuits. Elle les veille avec courage sans faillir. Connaît-elle un seul de ces hommes ? Non ! Se soucie-t-elle qu'ils appartiennent à son peuple ? Non. Verrais-tu ton frère Jason capable de cela ? Toi-même ? Ce matin, elle m'avouait qu'elle ne sauverait pas ces quatre hommes, empoisonnés par un mal qu'elle ne connaît pas. Combien d'atlante aurait eu cette honnêteté ?
_ Père...
_ Ne t'excuse pas, me coupe-t-il sèchement. Tu es un excellent guerrier, Iolass, habile, rapide, téméraire mais si impatient de devenir roi. En ce qui concerne de juger les hommes, tu es encore loin du compte.
_ Vous n'avez pas le droit !
_ Dommage que les Amazones ne se marient pas, mon fils. Quelle reine elle ferait...
_ Père ! répètè-je humilié.
_ Les Hyksôs deviennent chaque jour plus puissants. Et l'Atlantide a besoin de nouvelles terres. Nous allons avoir besoin d'alliés, finit-il prophétique.
Il part non sans m'avoir laissé entre les mains son casque et son masque dans un geste autoritaire. Je le déçois, une fois de plus. Je reste là, puni comme un petit garçon. J'en veux à cette Alia d'avoir ainsi gagné la reconnaissance d'un père si dur avec moi. Je veux entrer dans cette pièce et lui rendre l'humiliation que j'ai subie. Mais elle poursuit sa tâche, sans relâche. Elle donne à Mentis une bouillie infâme. Il n'ouvre que péniblement la bouche et les yeux. Elle-même a perdu de sa superbe. Son teint doré est devenu terne. Son épaisse tresse noire recoiffée à la va-vite n'est plus si lisse, si parfaite. Cheveux presque défaits, les traits tirés, sa beauté paraît moins glacée. Elle est moins altière, mais plus faillible, plus humaine et tellement plus désirable. Je me surprends à éprouver de la compassion pour elle. Je retourne à ma cabine, j'en chasse Jason sans ménagement, j'appelle des servantes et distribue mes ordres avant de repartir.
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Déluge
FantasyAlia sait qu'elle va mourir. Sa sœur la tuera lors du combat de succession au trône des amazones. Elle n'a pas peur, la mort est une vieille compagne qu'elle attend en profitant de sa liberté. Mais un navire étranger bouscule son destin. Elle va dev...