Alia

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Je me suis évanouie ou endormie. Combien de temps ? Je l'ignore, suffisamment pour qu'il fasse déjà nuit. Je parcours rapidement la pièce. Il est là, un peu en retrait sur un siège, légèrement penché en avant, sa tête entre ses mains. Il souffre. Comment l'apaiser ? Je n'ai pas appris ces choses-là. Je ne me suis jamais imaginée les vivre. Je veux me lever mais mes mouvements le sortent de sa torpeur. Il se précipite.

_ Quand est-ce que tu deviendras sage ? me reproche-t-il.

Il m'adresse la parole, bien. Peut-être me suis-je inquiétée pour rien. Je cherche à déchiffrer son regard, sa tristesse. Je ne comprends pas. Certes les Atlantes vénèrent la vie. Maintenant je sais pourquoi. Elle est vissée à leur corps dans une force extraordinaire vibrante, irradiante dans chaque particule de leur être. Ils maîtrisent bien plus que l'eau, c'est la vie même qui les guide. Elle n'en coule que plus violemment dans leurs veines.

Je me souviens alors des vieilles légendes de nos peuples : l'âge d'or, le déluge. J'entrevois un peu comment son peuple a pu y échapper. Il faudra qu'il m'en parle ! Je mesure combien je sais peu de choses à son sujet. Oh, je pourrais le voir. Ne me suffit-il pas de le toucher pour rappeler à moi son passé ? Ma main effleure son bras. Le bandage n'a pas été changé. Il la retire en murmurant quelque chose comme une supplique. Un sentiment violent me traverse : la colère. Si forte qu'elle m'arrache un soubresaut. Si présente qu'elle m'effraie. Je n'ai pas la force de lui résister. Absolue, elle m'extirpe des larmes silencieuses. Elle est passée. Étrange ! Ce n'est pas la mienne. Je ne suis pas en colère. Je suis tout sauf en colère. Perdue serait le terme exact. Je me fais l'image d'un être suspendu à un fil au-dessus d'un gouffre immense en pleine obscurité. Oui, je suis assaillie par bien des sentiments, la tristesse, l'envie irrépressible de me blottir dans ses bras pour n'en sortir jamais, le manque également, un besoin impérieux d'être avec lui, une nécessité vitale. Cette colère n'est pas la mienne. En le touchant, j'ai évité les images de son passé, je les ai retenues mais le présent n'a pas d'image. Je me souviens de ce fleuve insaisissable, fuyant et trompeur :

_ Me pardonneras-tu ?

Ma question le laisse sans voix. Je le prends pour un non et détourne les yeux. La distance revient et avec elle ce poignard qui saigne mon cœur à blanc.

_ Tu n'as rien à te faire pardonner, bougonne-t-il.

_ Si, tu m'en veux.

Il s'approche encore. Sa main caresse ma joue. Je la retiens. Ses yeux dans les miens, mon cœur accélère. Mon sang dans les tempes cogne comme un fou. La fièvre remonte. Ça non plus, ce n'est pas moi. Je chavire. Il me retient. Dans une douceur inégalée, il dépose ma tête sur son torse immaculé. Il passe sa main dans mes cheveux dans un geste lent et tendre, humant mon parfum. Ma confusion sentimentale n'est rien comparée à la sienne. Je n'ai qu'à lutter contre la nouveauté, lui se bat contre tout ce qu'il a été, contre ce qu'il s'est juré de ne jamais être, contre ce qu'il a... cru ?

_ C'est à moi que j'en veux, avoue-t-il dans un dégoût de lui-même non dissimulé.

Le silence nous pèse. Nous sentons tous deux qu'il n'est plus possible de reculer. Nous avons perdu ce combat. Désormais c'est à deux que nous serons un. Je crois que c'est lui qui a fait cela. J'ignore comment mais il a mis en moi une part de lui-même. Je l'encourage d'un regard apaisant.

_ Je ne t'ai pas tout dit pour..., il hésite,...l'embuscade. Je les ai tués mais...

_ Tu n'avais pas le choix, interviens-je alors que son air réprobateur m'indique que j'ai eu tort.

_ Sans doute, mais j'aurais pu y mettre moins de rage, murmure-t-il (ces aveux lui sont pénibles pour n'être que cela). J'ai cru que tu les avais envoyés.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant