Iolass

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Les éclaireuses nous tombent dessus à peine sortis de la forêt de cèdres : ordre de la reine. On ne peut pas dire que l'état de leur princesse les réjouit. Leur attitude est assez agressive pour que je m'en sente responsable. La présence de l'enfant les intrigue également. Elles nous obligent à forcer le rythme.

Dès notre entrée entre les remparts, le comité d'accueil est encore plus inhabituel. Cyrène fait les cent pas sous le péristyle. La compagne d'Alia piétine sec pendant que je permets à sa maîtresse de descendre sans se faire mal. Pied à terre, Alia fouille sa sacoche pour sortir le pot chèrement acquis. Mais sa suivante ne la laisse prononcer aucun mot :

_ Ta mère t'attend en salle du conseil.

Alia marque un temps d'arrêt puis distribue ses ordres. Que Baal retourne dans ses appartements, le petit Baal, Tibaal, comme elle a raccourci son nom, a besoin d'être nourri et choyé. Elle confie à Cyrène la mission de soigner les malades : une dose pour la première, deux doses pour la seconde et la troisième, deux doses espacées d'une heure pour la quatrième et la cinquième, trois doses pour la dernière. Je m'étonne.

_ Pourquoi ces différences ?

_ Nous soignons à l'aveugle. Elles ne survivront pas toutes mais avec un peu de chance, certaines vivront et nous en aurons appris beaucoup.

_ C'est ignoble !

_ Pour un atlante, je sais, tente-t-elle de me rassurer. Je dois y aller.

_ Elle vous attend tous les deux, précise sa suivante.

Là, cela devient très inquiétant. Le conseil ? Alia n'en a jamais parlé. Dans le dédale des couloirs, vers la salle du trône, elle m'indique que c'est un moyen pour la reine de s'assurer des avis de chacun avant une décision importante. Parfois des étrangers peuvent y être admis, pour des négociations diplomatiques. Afin d'aller plus vite, elle coupe par la salle du trône déserte, gravit l'estrade des trois trônes et passe derrière la tenture dans un couloir dérobé. Une porte, en bois rouge à double battants cloutés, ferme une salle où une conversation animée bat son plein. Je reconnais mêlées les voix d'Hippolyte, de Méphistès et de Tirésias. Ainsi notre frère est de retour. Je me mets à espérer des nouvelles de l'Atlantide. Tous les enfants de la reine sont là. Alia seule manque à l'appel. Elle est anxieuse. Le conseil se réunit si rarement.

_ Ça va ?

_ On verra, murmure-t-elle en poussant la porte sur ses gonds.

L'assemblée sursoit ses débats. Les participants siègent sur des gradins circulaires de part et d'autre de la reine. Elle fait signe à sa fille de rejoindre, à sa gauche, deux fauteuils qui nous sont dévolus. Le vieux marchand, Démétrius ouvre le cercle par la droite, suivi d'Hippolyte puis d'Isoha. Face à eux, Tirésias et Méphistès entament notre rang. Mais l'homme à droite de la reine nous surprend. Pâle, presque diaphane, de bonne taille, il scrute de ses yeux turquoise la réaction d'Alia. Elle ne bouge pas, hypnotisée. Étonné, j'entraîne ma princesse à nos places :

_ Général Oloros ? s'incline-t-il respectueusement.

L'homme à peine plus âgé que moi se lève pour m'adresser le salut atlante. Personne ne semble s'en offusquer.

_ Prince Iolass.

_ Tu es blessée ? interrompt la reine.

_ Rien de très grave, rassure Alia mal à l'aise.

Le général ne la quitte pas des yeux cachant mal le dégoût que ma déférence à son égard lui inspire.

_ As-tu trouvé l'antidote ? s'impatiente Isoha.

_ Oui, Cyrène est allée leur donner.

_ Combien survivront ? demande la guerrière.

_ Nous le saurons demain, soutient calmement sa sœur en prenant enfin place. Mère, enchaîne-t-elle aussitôt, le fort est tombé. C'est plus grave que nous le pensions..

Un murmure de réprobation parcourt l'assemblée.

_ Impossible, nous le saurions, s'énerve Hippolyte.

_ Tu es sûre? s'inquiète la reine envers sa plus jeune.

_ Certaine !

_ Cela correspond à ce que nous songions, se permet le vieux marchand.

_ Que s'est-il passé ? s'empresse Isoha.

Alia raconte en détails les événements du fort, la découverte de l'antidote mais limite quelque peu son escapade solitaire en territoire hyksos. À l'entendre, notre mission de reconnaissance a parfaitement fonctionné dans une concertation harmonieuse. Son bras n'est dû qu'à une maladresse désinvolte. Je désapprouve ce mensonge mais ce n'est pas le moment des reproches.

_ Les Hyksos étaient seuls ? interroge le général en s'adressant uniquement à moi.

_ Non.

_ Minoens ?

_ Je ne peux pas l'assurer.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant