Alia

106 14 0
                                    

Je souhaiterais tant qu'il cesse de me protéger. Seulement un instant ne pouvons-nous pas nous abandonner l'un à l'autre ? Il immobilise de nouveau mes fractures avec des bandages propres. À ce rythme là, nous n'aurons plus rien à nous mettre sur le dos. Il passe sur mes épaules sa dernière tunique. Le tissus frôle ma peau, vibre avant de se mettre immédiatement à ma taille. Surprise, je m'arrête sur Iolass qui se contente de sourire. D'accord, je dois trouver cela tout à fait normal. J'aime l'odeur de ses vêtements, leur légèreté, leur douceur. Voilà qu'ils semblent vivants à présents. Iolass enfouit ses doigts dans mes cheveux humides, me serre sur son torse, humant mon parfum, le buvant presque. Je sais exactement ce qu'il ressent. Nous étouffons tant de frustration. Le feu et la glace couvent en nous alternativement. Je réalise que sa poitrine, ses flancs sont zébrés de cicatrices nettes et fines, semblables à la mienne.

_ Vieilles blessures de guerre, justifie-t-il tout en retenu.

Nous ne devons plus rester seuls. La sagesse a ses limites. Il prend ma main et retourne auprès de Baal et son fils. Le chasseur arbore un sourire qui me laisse songeuse. Posés sur nos doigts entrelacés, ses yeux lancent des vagues de satisfaction. Pourquoi ? Par pure amitié ? Parce que je semble aller mieux ? Par reconnaissance pour son fils ? Je vais mieux, il est vrai, mais la question est toujours là. De simples soldats hyksos savaient que la princesse amazone Alia est la clef de l'Atlantide. La part du roi ? Cela allait au-delà d'une allusion grivoise. Cette invasion n'a-t-elle d'autre but que de me capturer ? Tant de sang, tant de morts pour me posséder ? C'est impensable. Je ne peux l'admettre. Mais à quoi me sert de rechigner devant l'obstacle. Le vertige me gagne. Iolass sent mon désespoir. Il m'attire à lui et m'enveloppe de son étreinte.

_ Essaie de dormir.
Inutile de lutter, il insinue en moi une paix imaginaire, je m'abandonne au repos. Les yeux clos, j'écoute la conversation des deux amis. La première remarque de Baal me laisse perplexe :

_ Les voix d'Hadès sont une malédiction.

Iolass lâche un rire amer.

_ Cela effraie Hippolyte.

_ Non, se fâche l'hyksos, elle espère que tu la protègeras jusqu'au bout.

_ C'est-à-dire ?

_ Jusqu'à la soustraire au duel.

_ Pour mieux attaquer l'Atlantide ensuite, s'amuse Iolass.

_ Tu n'es qu'un idiot arrogant et prétentieux.

Je souris malgré moi. Iolass sait mieux que quiconque manier la mauvaise foi lorsqu'il souhaite obtenir quelque chose.

_ C'est un sacrifice qu'elle fait, explique le chasseur.

_ Bin, tiens !

_ C'est aux Amazones qu'il revient de protéger la clef de l'Atlantide.

_ Excuse-moi ?

_ C'est la tâche qu'Artémis lui a confié, à Éphèse.

Le silence tombe. Comme une chape de plomb, elle nous laisse tous songeurs. Puis Iolass détend l'atmosphère :

_ Elles t'ont ramené un fils.

_ Quoi donc ?

_ Ta malédiction. Les voix d'Hadès.

_ C'est vrai. Et toi ?

_ Une femme à aimer.

_ Tu ne t'y attendais pas ! s'amuse le chasseur.

Ils rient sous cape pour ne pas nous réveiller, petit Baal et moi. Le chasseur se souvient de celle qui a été sa femme. L'amour ne faisait pas partie du mariage. Les Hyksos doivent avoir des héritiers, mâles de préférence. Mais elle était douce, courageuse et dévouée. Ils étaient bons amis. Jamais il n'aurait imaginé ce que je lui ai révélé, cette obstination téméraire à dire à son fils que son père reviendrait le chercher, le sortir de cet enfer.

_ Et tu es venu, prononce Iolass pour apaiser ses regrets.

_ Grâce à Alia.

_ Grâce aux voix d'Hadès, corrige l'atlante.

_ Mais trop tard.

_ Sacrés petits bouts de femme !

La reconnaissance de Baal apaise mes remords. Les voix se taisent ou je m'endors. Le soleil pointe à peine quand Iolass effleure ma joue de son murmure :

_ Il faut y aller.

Il tient déjà dans sa main la même boule translucide d'un jaune doré. Les herbes ont infusé dans leur coupe irréelle.

_ Je l'avais gardé, admet-il en désignant le petit sachet.

J'attends qu'il déroule doucement le serpentin pour saisir entre mes lèvres le liquide tiède. Une fois debout, je remarque que je ne sens plus mes blessures. Mon regard interrogateur l'incite à m'expliquer. Il a légèrement refroidi mes chairs pour en retirer la douleur. L'effet n'est que temporaire mais il espère que la tisane aura pris le relai.

Nous retrouvons la route. Bélérophon laisse Iolass monter sur son dos pour guider les manœuvres. À l'allure de mon étalon, nous serons à Thermiscyre à la tombée de la nuit.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant