Alia

181 22 0
                                    

Hippolyte m'attend de pieds fermes. Dès mon retour annoncé, elle s'est précipitée accompagnée de sa garde personnelle. Les six gaillardes m'entourent rapidement. Mon aînée me toise, satisfaite de me ramener comme la dernière des prisonnières. Mon aplomb l'irrite. L'absence de mon esclave aussi. Mais je l'ai mandaté, elle ne peut rien contre lui.

Elle se place en tête du cortège et fait prendre à l'équipage la route du palais, bien entendu pas la route la plus courte. Nous passons d'abord devant le temple d'Arès où les guerrières rassemblées en haut des coursives peuvent m'invectiver à loisir. Leurs railleries m'importent peu, leur présence me permet d'évaluer leur force. Leur nombre m'inquiète. Je les aurais voulues plus nombreuses, et mieux armées. J'ose espérer que mes observations ne sont dues qu'au manque de temps pour leur stratège d'une démonstration de force en bonne et due forme. Depuis le siège de Thèbes, notre armée ne s'est engagée dans aucun conflit. Serait-elle capable de résister à une invasion ? Je ne me suis jamais préoccupée de cela. Dans quel état sont leurs armes ? Qui s'occupe vraiment de l'approvisionnement, de la fabrication, du métal ? Toutes mes questions se bousculent. J'ai vécu en vase clos dans le monde sauvage mais simple du temple d'Artémis.

Je talonne Bélérophon pour le hisser au niveau de la monture d'Hippolyte mais comment entamer la conversation ? Voit-elle en moi autre chose qu'une rivale ? Une sœur de trop ?

Elle ne me regarde pas et fixe froidement la cour du palais qui se dessine au détour d'une ruelle. Il faut agir vite et déterminée :

_ Nous devons parler.

Elle se moque. L'heure est grave mais elle raille mes alarmes, pures gamineries.

_ Une invasion se prépare. Nous en serons les premières victimes. Tout sera balayé. J'ignore qui mais tout dit que quelqu'un nous a trahi. Je suis revenue pour le démasquer, lancè-je d'un seul souffle, étouffée par ma propre audace.

Elle retourne son cheval et me fait face, proche, trop proche. Son regard sombre plonge dans le mien mais je ne cille pas. Ne pas faiblir, ne pas faillir, ne pas sentir la peur...

_ Notre mère nous attend, ordonne-t-elle.

Arrivées dans la cour, des gardes tiennent nos montures mais Bélérophon se rebelle. Après quelques secondes d'agitation, elles n'insistent pas. Les compagnes de ma sœur veulent nous escorter mais elle s'y oppose. Nous gravissons seules le haut escalier du péristyle. Sous la colonnade, elle me retient d'un mot :

_ Qu'attends-tu de moi ?

_ Je ne sais pas. Ce que j'ai vu m'effraie mais, si j'ai besoin, me laisseras-tu voir le temple d'Arès, les armes, tes guerrières ?

_ Ou te traiterai-je en ennemie ?

_ Le feras-tu ?

_ La reine doit être prévenue.

Elle ne me répond pas. Nous traversons l'immense salle à colonnades de marbre blanc puis nous dirigeons vers la salle du trône. Ma mère se tient debout près du siège royal, rendant à Isoha une coupe chaude qu'elle vient de boire. Derrière les volutes de vapeur, la grande prêtresse d'Artémis m'observe du coin de l'œil et quitte la pièce son plateau dans les mains. La salle résonne de ma solitude. Les gardes sont sorties. Nous ne sommes plus que trois. La reine prend place. Nos deux trônes d'argent en contrebas brillent soudain d'un éclat bien pâle. J'ai du mal à contenir une boule dans ma gorge. Hippolyte s'incline et gravit les marches qui la séparent de son siège. Royale, elle s'installe posément. Voilà qui se complique.

_ As-tu trouvé ce que tu cherchais ? demande ma mère d'une voix si neutre que je crains le pire.

_ Des questions s'ajoutent aux questions, admets-je piteusement.

_ Les oracles sont toujours ainsi, me rassure-t-elle.

Je lui livre, comme à ma sœur, l'ensemble de ma vision : l'invasion, les criquets, le sang. Je n'omets aucun détail. Ma mère écoute avec attention et bienveillance avant de reprendre :

_ Nous aurions tort de ne pas prendre garde aux avertissements des dieux. Toi seule peux obtenir des réponses. Alia cherchera là où elle jugera utile.

_ Mère, j'aurais une faveur à demander à ma sœur.

_ Qu'est-ce ? s'étonne Hippolyte sans animosité.

_ Baal.

_ Voyez-vous cela, rit-elle. Ma sœur prend goût aux amants. Baal est insignifiant.

_ Justement. L'insignifiant parle à l'insignifiant. Il parle aux esclaves même les plus humbles. Iolass ne peut obtenir cela.

_ Soit, tranche la reine, qu'il en soit ainsi.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant