Iolass

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Grisé par mon succès, sûr de ma réussite, je ne vois rien venir. L'obscurité sans doute. Un frôlement. Le cri perçant d'un oiseau de proie. Un claquement de cuir qui mord mon bras puis la douleur vive sur ma main gauche. La boîte, à terre. Demi-tour. Cette figure de l'enfer sortie de nulle part, un loup lancé à toute allure prend la boîte dans sa gueule et court à travers bois. Je le suis. C'est là que je l'aperçois, immobile, patiente. Je crois d'abord reconnaître une garde mais les sentinelles n'ont pas de fouet. Le loup ralentit sa course. J'ai vraiment cru qu'il allait attaquer. Elle s'approche, assez pour que je l'identifie : Alia ! Tout n'est pas perdu : sa jeunesse, son inexpérience... C'est encore possible. Elle examine sa prise, raccroche tranquillement la petite boîte de bois à sa ceinture de cuir et me toise :

_ Si c'était cela que vous cherchiez, j'aurais été ravie de vous l'offrir.

_ Vraiment? saisis-je l'occasion.

_ Elle a un goût exquis.

Nous ne sommes plus qu'à quelques mètres l'un de l'autre quand elle siffle et présente son bras ganté de cuir. Un aigle majestueux s'y pose. Elle le récompense.

_ N'a-t-il pas bien travaillé ?

_ Je ne suis pas connaisseur. La perle n'est pas pour moi.

_ C'est plus stupide!

_ J'ai cédé au chantage, Alia, vous devez me croire. L'honneur de mes hommes est en jeu.

_ Voyez-vous cela? ironise-t-elle incrédule.

J'essaie de m'avancer imperceptiblement. Je la juge trop fine pour qu'elle ne s'en rende pas compte mais elle ne bouge pas.

_ Méphistès exige votre perle. Je n'ai pas le choix.

_ Méphistès? C'est ridicule...

_ Et pourtant si vrai!

Elle semble troublée, réellement ébranlée par ma conviction. Quelque chose ne va pas mais je ne me rends compte de rien. La fourberie de ce pirate est pourtant évidente, davantage encore dans ce piège qui se referme.

_ Rendez-la moi, réclamè-je d'une voix douce mais ferme. Vous savez les refaire. Que vous importe qu'il en possède une, qu'il s'étouffe avec s'il le souhaite.

_ Peu importe qu'il en possède une en effet, Méphistès me règlera ça plus tard. Reste une difficulté: vous ne pouvez pas partir d'ici. Qui pénètre en ces lieux doit mourir. Je suis désolée, annonce-t-elle sans laisser paraître la moindre compassion.

Je m'avance encore. Visiblement la traiter en amie ne sert qu'à entretenir un dialogue de sourd. Elle ne quitte pas ce sourire inébranlable. Elle gagne du temps. Il faut agir: rester plus longtemps ne servira qu'à permettre aux gardes d'intervenir. Je lance mon attaque. En une fraction de seconde, je suis derrière elle, m'empare de sa volonté, contrôle son rythme cardiaque, ses muscles: elle met un genou à terre. Elle ne résiste même pas. Je me saisis à nouveau de la perle et regagne ma place initiale.

_ Vraiment désolé, vous n'êtes pas une guerrière Alia, ne vous en voulez pas.

Je relâche mon emprise puis fais demi-tour vers les falaises. Je la sens tressaillir. La peur, vite contrôlée, plutôt étouffée. À peine ai-je tourné le dos que la lanière de cuir de son fouet claque l'air et mord à nouveau mon avant-bras. Que croit-elle faire avec une arme aussi dérisoire? Ma force suffit à lui arracher des mains. Je jette son fouet au loin. Mais son sourire satisfait commence à m'inquiéter :

_ Cessez vos enfantillages !

Elle sourit encore. Cela finit par m'inquiéter. Il me reste une carte à jouer.

_ Très bien, vous ne voulez pas trahir celles de votre peuple, me radoucis-je, mais ne rêvez-vous pas de découvrir l'horizon ?

_ Taisez-vous !

_ Venez avec moi, l'Atlantide vous ouvrira le monde.

_ Aucun étranger ne pénètre sur l'Atlantide! lutte-t-elle. Je ne trahirai pas. Il est trop tard.

Elle lance son aigle qui décrit trois cercles haut dans le ciel en hurlant des cris perçants. Docilement il revient se poser sur le bras de sa maîtresse. Mais ma tête bourdonne, ma vue commence à se brouiller, mes forces me quittent. Tout mon corps s'engourdit. Trop tard ? Elle m'a drogué. La dernière chose que je sens est la lourdeur de mon corps heurtant le sol, puis le noir, total, aspiré par le néant.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant