Iolass

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La mer ! L'envie de la traverser à la nage ne m'a jamais tiraillé à ce point. Malgré la saison, je devine la lumière hésitante du phare de Poséidon. La rage monte.

_ Patience, me conseille Méphistès.

Mais pour attendre quoi ? Quelle libération puis-je espérer ? Je demeure silencieux. À l'évidence, il est temps pour moi de retourner vers la servitude.

Alia a une fébrilité que je ne lui connais pas. Elle tourbillonne dans ses appartements pour je ne sais quels préparatifs. Sa nervosité, son excitation sont palpables. Je ne peux croire que c'est en l'honneur des Hyksos. Contrariée par mon arrivée, elle envisage d'abord de me renvoyer dans l'andréion puis se ravise. Nous n'avons guère le temps. Nous devons nous rendre présentables et faire honneur à nos invités. Elle ordonne à Cyrène de s'occuper de moi mais comme sa compagne rechigne, elle aboie :

_C'est un ordre !

Alia ne s'emporte jamais, encore moins contre ses subordonnées. Elle a une autorité contenue en tout. Cyrène me massacre d'une seule œillade. Se charger d'un homme lui déplaît et elle se sent très gauche lorsque nous pénétrons dans les thermes privés de la princesse. La pièce est petite mais claire, toute recouverte de mosaïques noires et blanches aux motifs marins. Un premier bain circulaire, à peine plus grand qu'une barrique offre une eau chaude et vaporeuse. Un second rectangulaire de plus grande dimension présente lui une eau à peine tiède. Une cascade au fond permet d'avoir les trois températures requises et je commence par la fraîcheur de son courant glacé.

_ Je peux me débrouiller.

Cyrène, d'une moue boudeuse, ne se fait pas prier. Je n'entends que le ton ferme de sa maîtresse :

_ Surveille-le !

Bien. Ma jeune garde reste sur le seuil de la porte, le dos tourné. Il faut faire ce qu'on attend de moi. Je délaisse la cascade glaciale pour me fondre dans le bassin rectangulaire. Sa tiédeur m'envahit chaudement. J'aime le contraste des températures. L'eau roule sur la moindre parcelle de mon corps. Je la laisse me traverser lascive comme une maîtresse timide. Je fonds tout mon être dans ses bras liquides. Rien de plus facile. Bientôt je suis l'eau elle-même. L'onde est partout dans cet appartement. Me projeter dans celle qui constitue l'air n'est qu'une formalité : je suis partout. J'entends distinctement les pas d'Alia descendant impatiente vers un lieu inconnu. Elle est tendue. Elle sent quelque chose. Ma présence la gêne. Elle se retourne sans cesse sur ses pas, incrédule. Mais elle ne peut comprendre le pouvoir des Atlantes. Tiens, elle n'est pas seule. Que de voix intérieures ! Sa muette, sans aucun doute.

De l'eau encore, libre, riante. Voilà pourquoi je suis irrésistiblement attiré par ce lieu. J'ignore ce qu'elles font mais il me semble qu'Alia partage comme un secret. Ses gestes méticuleux, le ton méthodique de sa voix déformée par mon état, tout désigne un art délicat. La muette suit et approuve attentive aux moindres détails. Je parcours dans un souffle l'espace étroit et confiné. Cette chaleur ! Du feu. Qu'est-ce qu'elles peuvent bien fabriquer ? Des odeurs de toutes sortes saturent l'air. Il me faudrait des efforts pour les distinguer. Mais...

J'interromps immédiatement ma projection. Une voix ! À l'extérieur ! Isoha ! La Grande Prêtresse d'Artémis ? Ouf, c'était juste ! Je me rassemble. Elle entre dans les thermes sans se soucier un instant de ma nudité. Puis se ravisant, elle exige la présence de Cyrène.

Je ne m'en soucie plus lorsqu'Alia revient de son escapade souterraine. 

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant