Psyché me tire de mon mauvais sommeil. Ai-je vraiment dormi ? Je m'en veux tellement. J'ai livré la vie d'un homme le jour même où je me suis évertuée à en sauver d'autres. La haine des Amazones est tenace, lui avais-je dit, je découvre avec effroi que la venimeuse coule dans mes veines. Ce ne sont plus des paroles en l'air. Comment mes jeux d'adolescentes, mes fanfaronnades ont-ils pu si mal tourner ? Psyché me montre la porte de ma chambre. Isoha ? Encore... Ne me laisseront-elles pas en paix ? N'ai-je pas fait ce qu'elles attendaient de moi ? Son visage est si sombre. Je comprends que l'heure n'est pas aux récriminations. Elle m'ordonne de m'habiller. J'obéis et saisis la tunique qui traîne là. Mais elle se ravise et commande à mes compagnes de me préparer comme une reine doit l'être. Nous restons abasourdies. Que veut-elle exactement ? Et vite, ajoute-t-elle. Cela ne souffre aucun délai.
J'ouvre mes coffres, revêts ma robe de cérémonie couleur safran et m'abandonne à Cyrène. L'art compliqué de mes tresses habilement mêlées vers l'arrière met en valeur l'ovale de mon visage. Elle applique le diadème de ma fonction aux signes d'Artémis, la Meneuse, la maîtresse des aigles et des loups. Je ne mets pas d'autres bijoux. Intuitivement je pense que cela chargerait trop l'ensemble. Je doute que la circonstance s'y prête. Je n'espère qu'une chose : que ce ne soit pas l'heure du sacrifice. Penser au bourreau, à ce couteau sur la gorge d'Iolass me révulse. Et si ma mère exige que ce soit moi qui officie ? Cette image évoque pour moi des souvenirs lointains et familiers. Je chasse ce sang de mon esprit. Je me domine et sors de mon dortoir. Isoha m'examine de la tête aux pieds. Ma tenue semble convenir. Elle dépose sur mon front un baiser maternel. Tout ce mystère m'inquiète. Nous quittons l'enceinte du temple pour nous rendre vers le palais royal. Pourquoi ? Isoha ne me révèle rien. Les gardes nous saluent avec déférence. Nous allons vers la salle du trône mais sans passer par l'entrée principale ni par le portique royal. Dans un couloir dérobé, non loin de la salle du conseil, Isoha s'arrête net et murmure :
_ Je ne vais pas plus loin. Écoute bien tout ce l'on te dira et fais le bon choix.
Elle s'éloigne puis, faisant demi-tour, elle me fixe avec insistance :
_ Une seule chose compte dans ces cas-là : ne te renie pas !
Derrière les tentures de la salle, la petite porte discrète s'ouvre, j'avance nerveuse vers l'estrade. De là, derrière le trône d'or de ma mère, je surplombe l'assistance. Mais au milieu de la forêt des hautes colonnes, il n'y a personne. Seul, un homme, épaules larges, vêtu d'un long manteau surmonté d'un capuchon qui m'ôte la vue de son visage, patiente genoux à terre, suppliant. Par Artémis, Le roi des Atlantes ! Je n'ai pas besoin de voir son visage, la blancheur de ses mains noueuses l'a trahi. Je tremble mais ne faillis pas. Pourtant l'envie de fuir est forte. Ma mère quitte son siège et s'avance vers moi.
_ Tout ce qu'il te dira est vrai, tu peux le croire. Cet homme connaît bien nos lois, m'explique-t-elle avant de se retourner vers lui pour ordonner : Alia, Meneuse des vierges d'Artémis, entendra votre requête. Sa décision sera force de loi.
Les paroles solennelles ont été prononcées. Ma place est sur le trône royal. Chancelante, je m'assois. Je ne veux pas croiser son regard. Je ne pourrais pas le supporter. Il porte au poignet la chaîne de son fils. Ilia la lui a donc portée. Je jette un regard implorant vers ma mère mais elle n'a que ce sourire triste avant de quitter la place.
_ Sauver mon fils est la seule chose qui m'amène ici, lance-t-il avec une émotion contenue.
_ Il est entré en terre amazone. Il savait ce qu'il adviendrait.
Ma voix mal assurée perce mon émotion. Je n'y crois pas moi-même. Comment le pourrais-je ? Ma mère lui a-t-elle dit ce qu'elle avait tramé ? De quoi ont-ils parlé en mon absence ? Lui a-t-elle dit qu'elle lui avait pris son fils pour éprouver ma loyauté ? C'est ignoble. Pourquoi m'infliger ça ?
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Déluge
FantasyAlia sait qu'elle va mourir. Sa sœur la tuera lors du combat de succession au trône des amazones. Elle n'a pas peur, la mort est une vieille compagne qu'elle attend en profitant de sa liberté. Mais un navire étranger bouscule son destin. Elle va dev...