Alia

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Nous n'avons pu entendre le fond de la dispute mais les hommes avaient le dessus. À notre arrivée, le silence se crée. Mon sang ne fait qu'un tour. L'homme à gauche de la stratège tient le petit Baal par l'épaule. L'enfant pleure à chaudes larmes dans un sanglot compulsif. Je fais la seule chose qui peut le sauver. Je m'approche d'un bond, bouscule l'homme pour lui arracher sa proie. S'ils tiennent à leur faux semblant, rien ne se passera.

Des deux côtés, des armes sortent de leurs fourreaux mais la stratège intervient vivement :

_ Ces hommes voulaient épargner sa vie, ment-elle. L'enfant doit être puni pour l'outrage qu'il a commis. Il a fait cabrer votre cheval. La chute aurait pu vous blesser.

Ainsi elle endosse un châtiment qui n'est pas le sien. Que veulent lui faire ces hommes ? Ce n'est qu'un enfant !

_ Sa mère ?

_ Elle n'était qu'une esclave, s'exclame-t-elle pressante.

Ils l'ont tuée ! Ce n'est pas vrai ! Je ne peux y croire. Mais le regard éperdu du petit garçon n'est que trop éloquent ! Les lâches ! Je sens la terreur dans le cœur de l'enfant. Sous ses yeux ! Les chiens ! Ne pas céder, tenir, coûte que coûte. Je me reprends. J'avance vers la table, un scribe, de l'encre ? Parfait. Je trempe mon sceau, saisis le bras du petit garçon et y dépose fermement ma marque.

_ Il est de ma maison. Suis-je assez claire ? Touchez-le et...

Je n'ose achever. La stratège m'offre une excuse valable pour décamper, autant en profiter. Son visage impassible n'exprime rien qu'un renoncement trop peu coutumier à notre peuple. Il est temps de distribuer mes ordres :

_ Nous partons. Vous punirez mes esclaves seulement lorsque je vous en donnerai la permission. J'avais placé cette femme dans ma maison. Vous aurez à répondre de vos actes !

Comprend-t-elle que cette menace n'est pas pour elle ? La stratège soutient froidement mon regard. Elle est condamnée. Nous le savons toutes les deux. J'espère seulement qu'elle n'est pas dupe, qu'elle a déchiffré mon manège. D'un geste autoritaire, j'envoie Baal récupérer nos affaires. Il est rapide, nos bagages sont maigres : l'avantage de voyager léger.

Nous prenons nos montures et détalons aussi loin que nous le pouvons, l'enfant blotti devant moi. Bélérophon accepte l'intrus sans rechigner. Très vite, je bifurque vers le nord. Mes compagnons, mes loups me suivent. Nous nous enfonçons à couvert dans la forêt et revenons sur nos pas.

_ Où allons-nous ? s'insurge Iolass.

_ Chez Circé !

_ Es-tu folle ?

_ Non, ils craignent ce lieu. C'est la tombe de la sorcière maintenant. Nous bivouaquerons là-bas.

_ Pourquoi ? Tu as l'herbe jumelle. C'est inutile.

_ Je l'ai décidé.

Il n'a pas à discuter, il n'a pas à savoir. Il m'en empêcherait. Mais le petit Baal m'a montré la voie. Je dois la prendre. Mine ou fournaise ? Il n'a pu comprendre ce lieu de ses yeux d'enfants. Les filles d'Artémis sont là-bas, otages en sursis, presque mortes. Les réponses de Démétrius aussi. Je dois m'y rendre ; pas d'autre choix. 

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant