Iolass

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La vieille Circé ? Inconnue au bataillon. Alia ne souhaite pas ébruiter la véritable raison de notre venue. Pourquoi ? Notre mission est officielle. Le fort est étonnamment calme. Les maisons sommaires, abritées derrière les hauts murs, se serrent les unes contre les autres, cheminées fumantes, volets clos. Certaines portes s'entrouvrent à peine sur notre passage. Certes le froid ici est glacial, jeté par bourrasque dans les rues venteuses. Chaque ville, chaque fort suit le même plan. Une grande rue nord-sud va du palais sur son promontoire à la porte principale. À mi-chemin, nous rencontrons enfin âmes qui vivent : des guerrières encadrent des hommes hyksos pour la plupart. Baal ne détourne pas les yeux mais une chose est sûre : les Amazones prennent ici soin de leurs esclaves. Ils sont vêtus sobrement mais convenablement, leurs poignets pansés. Tiens, des recrues récentes. Peut-être cela explique-t-il leurs regards hostiles. À moins que ma présence d'ennemi héréditaire ne les dégoûte un peu plus de leur condition d'esclave. Alia se tend. Elle furète de tous côtés, cherche je ne sais quoi dans chaque maison.

Nous passons la deuxième enceinte. La garnison proprement dite se cache répartie selon le même plan que le temple d'Arès : deux cours, les baraquements sur deux étages, le quartier des officiers. Certes la bâtisse domine l'ensemble de sa silhouette massive mais elle est plus simple, presque pauvre en comparaison de la caserne de Thermiscyre. Aucun comité d'accueil. Les gardes sautent littéralement de leurs chevaux pour nous planter là. Alia semble ne pas s'en formaliser, tous ses sens en éveil. À dire vrai elle est décontenancée, indécise.

_ Un problème ?

_ Je n'en sais rien encore.

Nous entrons dans le bâtiment. Une femme d'une quarantaine d'années, noblement vêtue nous accueille fraîchement.

_ Pardonnez nos manières, Princesse, mais nous ne sommes que des guerrières, peu familières des usages de la cour. Votre visite nous prend au dépourvu.

_ Nous n'avons besoin que du gîte et du couvert, rassure Alia.

Celle que j'identifie comme la responsable des lieux se détend un peu. Cependant, sans se départir de sa raideur, elle ajoute par pure politesse.

_ Restez autant que vous voudrez. Nous vous préparons mes appartements. Vos hommes pourront garder vos chevaux.

_ Ils resteront avec moi, affirme froidement ma princesse.

_ Mes appartements seront un peu à l'étroit.

_ Ce sera très bien, interrompt Alia dans une ambiance électrique.

Je suis sûr d'avoir raté un sous-entendu. Baal est très mal à l'aise, main sur le couteau à la ceinture. À l'affût, il est prêt à bondir sur un ennemi invisible.

_ La vieille Circé vit-elle toujours dans le temple d'Artémis, à l'orée de la forêt des vents ? demande Alia glaciale.

Les femmes présentes échangent des regards étranges teintés d'espoir et de désolation. Quelle est cette mascarade ?

_ Je vous y ferai escorter. L'endroit n'est pas très sûr, signifie la gouverneur. Les Hyksos font parfois des embuscades sur notre territoire.

_ Je sais, la défie Alia un sourire mauvais sur les lèvres.

Les présentations terminées, on nous conduit dans les étages. On nous ouvre une chambre spacieuse mais austère. Une table de travail près d'une petite fenêtre, fermée par un volet de bois brut. Un coffre, un lit couvert d'une bonne épaisseur de fourrures. Un tapis de laine sur le plancher. Aucun luxe n'enjolive ces murs. On nous laisse mais Baal va et vient comme un lion en cage, scrutant la cour à travers le volet entrouvert. Alia est plus calme, tendue, sur ses gardes mais parfaitement calme. Cela ne me dit rien qui vaille. Elle ne se met pas à l'aise. Elle se contente de déposer son arc sur la table mais ne quitte ni ses armes ni sa cuirasse qui pourtant la fait souffrir. Elle se passe juste un peu d'eau sur le visage. Elle ne regarde même pas Baal lorsqu'elle lui affirme dans un atlante parfait :

_ Ils ne commettront pas d'erreurs. Inutile d'observer.

Lui, comme moi, restons stupéfaits. Je ne doute pas que l'hyksos ait très bien compris chaque mot. Rapidement, dans l'andréion, nous avons décidé de nous parler en atlante car peu d'esclaves connaissent ma langue. C'est un avantage certain. Baal est un élève doué.

_ Princesse, c'étaient des guerriers. Vous ne gardez pas les Hyksos guerriers.

_ Elles ne les gardent pas, affirme-t-elle comme si nous devions comprendre à demi-mot l'agressivité qui pointe dans sa voix.

Il y a un long silence. Je jurerais que ces deux chasseurs se comprennent sans bruit, poursuivant la conversation du regard.

_ Nous ne sommes pas venus chercher l'herbe jumelle, constate mon ami.

_ Pas seulement.

_ On se calme, interviens-je. Tu crois que ces guerrières auraient trahi ta mère.

_ Ce sont les Hyksos qui les gardent, corrige-t-elle durement.

J'y vois clair à présent, les Hyksos tiennent Alcantara. Mais si elle savait venir en terre hostile, pourquoi se jeter ainsi dans la gueule du loup ?

_ Il le fallait.

Je devrais m'emporter, céder à la colère mais ni le lieu, ni les circonstances ne s'y prêtent. On verra cela plus tard si nous avons des chances de rentrer à Thermiscyre. Baal, plus pragmatique, organise les tours de garde. Mais peut-on être sûr de lui à présent ? La tentation ne sera-t-elle pas la plus forte ? Très bien qu'elle dorme la première. Je veillerai deux fois. J'aurai l'hyksos à l'œil.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant