Alia

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Il reste sur ses gardes. Impossible d'approcher de mon laboratoire. Je suis sous étroite surveillance et mes compagnes aussi. Je ne lui en veux pas. Mais comment le convaincre ? Je tente une approche différente. Après tout, il peut s'immuniser sans fuir tout de suite. Je veux juste le mettre d'égal à égal. Cela nous laisse le temps de mieux percevoir les choses. J'ai longuement répété mon discours. Il m'écoute. Pourtant je devine mot après mot le mal qui l'étouffe. Ce qu'il contient est au-delà de la colère, l'incompréhension le dévore. Il connaît le moindre de mes sentiments, il m'a donné à sentir la sincérité sans faille de son amour. Pourquoi tant d'insistance de ma part ? Je veux juste qu'il soit prêt en attendant que j'y voie plus clair.

_ C'est donc cela ? s'énerve-t-il.

_ Quoi ?

Sa moue irritée m'empêche d'aller plus loin dans la mascarade.

_ Tu t'agites dans ton sommeil. Tu t'effraies, tu cries aussi. Peut-être serait-il temps de me mettre au courant.

_ Je ne sais pas, répliquè-je agacée à mon tour.

Que puis-je lui raconter ? Je n'y comprends rien moi-même. Des bribes, du brouillard, tout est si imprécis. Je tache de ne pas y penser, histoire de ne pas perdre la raison. Mon silence le laisse de marbre. Son visage d'Adonis se lisse, tristement, sa voix blanche martèle chaque mot.

_ Quand tu me jugeras digne de ta confiance, tu sauras où me trouver.

Je ne le retiens pas. Cet excès d'orgueil m'irrite plus que tout. Lequel de nous deux manque de confiance ? Je ne demande pas grand-chose : un peu de temps et l'antidote dans ses veines. Est-ce si extraordinaire ? J'avoue que, la porte à peine refermée, je me précipite dans mon repère, Psyché à ma suite. Hors de question de ne pas profiter de cette aubaine. Il doit déjà s'en mordre les doigts. Il doit sans doute prendre conscience de son erreur. Tant pis ! Je le sauverai malgré lui. Moi, ce sera une autre histoire.

Nous nous mettons au travail. Je rappelle si facilement les images à ma mémoire que mes mains s'exécutent mécaniquement sans que j'aie à y penser. Les étapes sont complexes et réclament le plus grand sérieux mais jamais mon esprit n'a été aussi alerte. Tout prend une intensité particulière : les contours des objets deviennent plus nets, les odeurs plus distinctes, les bruits plus intenses. Je suis comme en transe, incapable de m'arrêter. La première partie de la préparation est achevée. Il faudra attendre une révolution du soleil. Combien de temps avons-nous passé dans le laboratoire ? Je n'en ai aucune idée. Toutefois l'estomac de Psyché crie famine et je ne peux nier que je pourrais dévorer n'importe quoi. Nous remontons. Iolass n'est pas revenu. J'hésite... Non, Je ne cèderai pas ! Il prendra l'antidote et rentrera sur son île.

Malheureusement, sans son accord, je suis démunie. J'ai bien un plan mais il me faudra attendre le retour de Méphistès. Là, j'aurai le soutien nécessaire. Au pire, s'il ne parvient à décider son frère, j'arriverai bien à le convaincre de l'y contraindre. Il saura peut-être qui est ce visage de fer ?

La journée passe sans que je n'y prenne garde. La fatigue accumulée ces derniers temps m'a donné le goût de l'inaction. Je me perds dans la contemplation d'un rouleau de papyrus médical jusqu'à ce que ma tête se mette à bourdonner. Un danger ? Qui approche ? Je fuis mes appartements, espérant étouffer cette crainte imaginaire. J'erre paisiblement dans ma chère forêt. Mes loups me manquent et Ilia boude que j'ose ainsi le délaisser. L'espace d'un instant, je retrouve ma vie d'avant, je fais corps avec eux, joue, cours dans une amitié sauvage, si simple. L'esprit apaisé, je reviens au palais.

Quelle surprise ! Quelle joie ! Il a bravé les interdits. Il m'attend tranquillement installé sur mon fauteuil préféré. Je lui saute au cou : Tirésias ! Il a enfin quitté son temple. Mais que dira notre mère ? Il n'en a cure. La séparation lui pèse trop. Je mentirais si je n'avouais pas que cette restriction m'a été supportable.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant