Alia

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Toute cette folie ! Cela doit finir ! Je ne peux croire être responsable de tout cela. Ignis, Alcantara, Oloros, tous ces morts... à cause de moi ! Un an auparavant, je respirais l'air des forêts à pleins poumons, sûre d'être libre éternellement. Je ne serais jamais reine, je ne connaîtrais ni les responsabilités, ni l'ivresse du pouvoir. Je ne serais qu'Alia, la petite sœur, celle qui un jour mourra, au mieux la solution de rechange. Pourquoi cette folie ? De quoi suis-je tant capable ? De quoi suis-je la dépositaire ? Des voix funestes d'un autre monde ? Je ne parviens ni à les comprendre, ni à en modifier le cours. À quoi me servent-elles ? Je fais souffrir tant de monde. Iolass ? Il me manque terriblement. Sans lui, j'ai l'impression de me noyer. Il est devenu mon oxygène. Je l'aime, le nier serait stupide. Ses bras, son regard, sa voix, je retiens scrupuleusement chaque image de lui. Vivant ? Oui ! Je ne parviens pas à l'imaginer autrement. Je ne veux pas croire qu'il en soit autrement.

_ Ça va ? entre Méphistès.

Je pose mes yeux sur lui péniblement. Comment ont-ils pu décider à ma place de ce qu'il faudrait faire ? Les uns veulent ma mort, d'autres me posséder, eux ma vie plus que tout. Mais moi ai-je le choix ? En fait, je sais quoi faire ; c'est juste que je ne m'y résous pas. Le quitter ! Être séparée de lui. Pourquoi est-ce si dur ?

_ Nous arriverons bientôt à Thermiscyre, annonce mon frère.

Méphistès ! Il était au conseil. Est-ce possible qu'il ait trahi. Et si ? Je saisis d'un bond son poignet. Il recule mais je ne lâche pas. Je veux savoir, je veux voir. Ce n'est que du passé, gravé à jamais dans la mort. Je peux voir. Des images surgissent en vrac par dizaines. Il est si difficile de les distinguer. Non ! je ne lâcherai pas ! Je saurai. J'ai besoin de savoir. Un soupire de soulagement emplit ma poitrine. Je desserre mon emprise :

_ Je suis désolée.

_ C'était quoi ça ? Tes yeux ? s'insurge mon frère effrayé.

_ Les voix d'Hadès.

_ Je vois, s'adoucit-il déclenchant mon hilarité.

_ Non, je vois !

_ Ah, et qu'as-tu vu ?

_ Que je peux te faire confiance.

_ Notre mère n'a pas besoin des voix d'Hadès pour cela.

Il est vexé, je crois, peut-être même blessé. Mais peut-il m'en tenir rigueur ? Tant de haine, de trahison autour de moi. Notre mère ! Une infinie tristesse m'envahit. Ainsi je n'aurai même pas le temps de la connaître. Ainsi je ne serai jamais cette fille sage et obéissante qu'elle voulait. Têtue, frondeuse, perdue et capricieuse, telle sera l'image qu'elle aura de moi.

_ Elle va mourir.

_ Quoi ?

_ Notre mère est malade. Elle va mourir.

_ Quand ?

_ Quelques jours. Avant la nouvelle lune.

Le silence se fait avant que je ne m'entende prononcer.

_ J'ai besoin de toi.

Il attend. L'heure est grave. Pire, elle est là, proche de nous, beaucoup trop proche. C'est la seule solution, la seule issue. J'ai tant de fois retourné le problème dans tous les sens. Il n'est plus temps de reculer.

_ Mentis est-il fiable ?

_ Cela dépend. Tu ne comptes pas l'entraîner à une table de jeux, n'est-ce pas ?

Comment peut-il plaisanter dans un moment pareil ? Je lui explique mon plan. Il écoute avec attention, jusqu'au bout avant d'asséner :

_ Ça peut marcher.

Il réfléchit un instant.

_ Attends l'embrasement des remparts. Ce sera notre signal. Je quitterai le port et posterai ma trirème à l'endroit prévu.

Je hoche la tête. Nous aurons suffisamment de temps. Ainsi Tirésias avait raison. Je les trahirai. C'est de moi que viendra la trahison. 

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant