J'ai terminé : l'invocation à Hadès a été prononcée. Je sens alors une main sur mon épaule. Le roi ! Je ne peux voir son visage. Il me fait face. Il a tenu parole et revêtu son casque de combat, dissimulant sa figure derrière un masque de nacre. Je lui tends des gants pour protéger ses mains : tout contact est mortel. Je porte la sous-coupe. Nous nous glissons près des mourants. Mes mains tremblent. Il s'agenouille à leur chevet avec une dignité saisissante. J'ignore si ses hommes l'entendent mais il parle à chacun, les appelant par leur nom, leur promettant les plus belles funérailles et d'autres choses que je ne comprends pas. Il est vraiment affecté. Il hésite... Alors, naïve, je me crois obligée d'intervenir :
_ Ils ne souffriront pas. Lorsque la perle sera dans leur bouche, elle tétanisera leurs muscles et anéantira la douleur. Très vite, elle aura un goût sucré. Ils perdront connaissance puis leur cœur s'arrêtera.
Je ressens un mal-être qui m'est inconnu. Leur mort m'inquiète. C'est absurde. Je suis tant habituée à la mienne. Je pensais que la mort était devenue une ennemie bien familière.
_ Je sais, se contente le roi.
Il accomplit son devoir. Nous perdons rapidement ces quatre hommes. Le silence est total. Je ne sais pas combien de temps nous restons immobiles, le regard fixé sur ces hommes qui paraissent enfin être en paix. Le vide m'envahit puis le dégoût. J'ai ce plat en horreur et jette tout dans le feu : la sous-coupe, mes gants, le pot, et le creuset. Le roi m'arrête doucement:
_ Vous pouvez pleurer. Personne ne le saura.
Pleurer ? Pourquoi ? Je ne suis pas triste, mais amère. Je me croyais forte et découvre que mes plus grandes résolutions ne tiennent pas. Tellement en colère, contre ma mère, contre moi, contre le roi hyksôs. Ce poison ! J'enrage :
_ Je ne veux pas pleurer, je veux savoir ! Je veux tuer l'homme qui a fait ce poison. Je découvrirai l'antidote, je vous le promets.
Mon aigreur naïve lui arrache un sourire douloureux. Ses yeux turquoise, presque transparents, se voilent d'un poids harassant.
_ Les dieux ignorent combien il est pénible d'être roi.
Il me laisse. À nouveau seule, je m'accorde quelques minutes d'abattement, mélange de douleur et de colère. Est-ce cela que ma mère veut m'apprendre : « Combien il est pénible d'être roi » ? À quoi bon ? Je ne serai jamais reine.
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Déluge
FantasyAlia sait qu'elle va mourir. Sa sœur la tuera lors du combat de succession au trône des amazones. Elle n'a pas peur, la mort est une vieille compagne qu'elle attend en profitant de sa liberté. Mais un navire étranger bouscule son destin. Elle va dev...