Iolass

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_ Vous lui faîtes confiance ?

_ Avons-nous le choix ? réplique mon père résigné. J'ai vu sa mère sauver ses guerrières au siège de Thèbes et guérir des hommes qui venaient de combatte à leur côté. La défense d'Aletheia a été éprouvante. Les Atlantes gagnent à l'épée, gagnent sur mer, mais contre la lâcheté, c'est une autre affaire. Pourquoi crois-tu qu'ils nous aient ainsi attirés si près de leurs archers ? Les Amazones nous aideront.

_ Nous ne sommes pas leurs alliés.

_ Les Amazones ne sont les alliées de personne. Mais tous les liens ne s'écrivent pas dans les traités.

Il n'ajoute rien de plus. Il est évident que le sort de nos hommes l'affecte. Je ne comprends pas pourquoi le mettre entre les mains d'une gamine. Quel âge doit-elle avoir : seize, dix-sept ans tout au plus ? Certes elle est d'une beauté troublante, presque sauvage, en tout cas différente des femmes de l'Atlantide. Sa peau fine, mate, dorée par le soleil dessine habilement les pourtours des muscles de son corps élancé. Cette femme-là vit au grand air, courant, jouant loin des gynécées. Ses cheveux sombres, légèrement auburn, négligemment tressés en une longue natte tombent le long de sa tunique vert foncé, assortie à ses yeux vifs et malins. Une ceinture de cuir dans laquelle sont rangées ou accrochées toutes sortes de fioles, de sachets et de boîtes plus ou moins minuscules repose délicatement sur ses hanches. Sa tunique forme une jupe jusqu'à mi-cuisse pour libérer ses jambes fines enserrées dans les lacets de ses sandales. Elle est armée, une dague cachée sur le mollet droit, joli le mollet d'ailleurs. À mieux y regarder, elle n'est pas très grande, juste athlétique.

Elle fait consciencieusement le tour des malades, marchant d'un lit à l'autre d'un pas décidé. Elle ne fait qu'observer pour le moment puis elle s'approche du paravent. Elle le fixe de toute la force de ses yeux émeraude. On dirait qu'elle devine que le roi n'est point seul. Jason recule d'un pas. Ce geste m'aurait fait rire un autre jour.

_ Dois-je m'incliner ? demande-t-elle.

_ Ce n'est pas nécessaire, modère mon père amusé par cette naïveté si peu de circonstance.

_ Il me faut une flèche hyksôs, des éclats suffiraient. Vos médecins ont tout retiré du corps de vos hommes.

_ Cilia, que cela soit fait, ordonne le roi.

_ On raconte chez nous que vous possédez le secret de la glace. Est-ce vrai ?

_ Pourquoi cette question ?

_ Il m'en faudrait pour refroidir la pièce. Un courant d'air n'y suffira pas. La chaleur de la pièce ne va pas m'aider à faire tomber la fièvre.

_ Que cela vous soit apporté. Autre chose ?

_ Oui. Je dois renouveler l'air. Je vais ouvrir ces drôles de fenêtres. Cilia dit que c'est possible. Que nul ne s'approche de ce navire ou ne tente de me voir, sinon ma mère...

_ Exigera sa mort ! Je connais les lois de votre royaume, Princesse Alia. Cela sera fait. Nous allons vous laisser travailler. Je reviendrai ce soir voir où vous en êtes.

Je suis sidéré. Mon père laisse comprendre à cette fille que nos technologies ne sont pas les mêmes. Nous préservons ce secret, même dans nos batailles. À quoi sert-il que nos hommes souffrent pour des combats qu'ils auraient pu aisément remporter ? C'est la loi la plus absolue de notre île. Nul homme de l'extérieur ne doit savoir. Bientôt il lui donnera le cœur de notre énergie ! N'est-ce pas trahir le peuple de l'Atlantide ? N'est-ce pas faillir à notre devoir ? Et Mentis ? Compagnon, ami, allongé là, frissonnant de fièvre, puis-je le laisser entre les mains de cette étrangère ? Il me faut attendre. Toute imprudence sera sévèrement punie. C'est l'ordre que mon père a fait circuler de nef en nef, consignant les hommes dans leur cabine.

_ Elle est belle, non ? me suggère mon irritant petit frère en regagnant la nôtre.

_ Sûrement.

_ Quoi ? Le joli cœur de la famille, le tombeur de la cour, l'homme aux mille conquêtes n'aurait pas vu la beauté d'une amazone. Voilà qui manque à ton tableau de chasse.

_ Quoi donc ?

_ Une Amazone.

_ Ne sois pas stupide ! On ne pénètre pas aisément dans leur cité. Leurs remparts sont hauts, solides et bien gardés.

Il m'agace avec ses insinuations puériles. L'heure n'est pas à la galanterie. Il n'a vu la bataille que de loin. Nos hommes meurent. Si nous avions combattu comme des Atlantes, ce ne serait pas le cas. Mais mon père dirait que nous n'avons pas le choix, que nous devons passer pour des hommes. Je jure que si elle ne les sauve pas, amazone ou non, elle finira glacée entre mes mains.

Je suis bien volontiers goguenard mais mon inquiétude, ma frustration n'est pas feinte. Aussi pour tromper mon angoisse, je prends une décision salvatrice : me rendre sur le navire des élites. Une partie de dés me changera les idées.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant