Alia

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J'entre dans le palais sans crainte, emplie d'une étrange sérénité. Bientôt les Atlantes partiront et je retrouverai le cours paisible de mon existence. J'en jouirai davantage, certaine d'avoir vu un jour le monde extérieur. C'est avec assurance que j'avance vers la grande salle. Ma mère n'y est pas. Elle m'attend plus loin, dans la fraîcheur des jardins qui bordent, à l'est, la salle du trône. Cela me semble de bons augures et j'ai raison. Elle m'a mandée pour me féliciter. Mise à l'épreuve, j'ai à ses yeux dépassé mon maître. Pourtant elle doit sentir la tristesse qui demeure car, de la voix qu'elle prenait les rares fois où elle me parlait enfant, elle ajoute :

_ On ne peut pas les sauver tous. Tu devais apprendre cela aussi.

_ Oui, mère.

Je reste songeuse. Cela ne me suffit pas. Je veux savoir, je veux comprendre, je veux pouvoir les sauver tous. Peut-être pas aujourd'hui mais la prochaine fois, je veux être prête.

_ Ton initiation est achevée. Bientôt tu pourras rejoindre ta sœur et commencer ta formation guerrière.

_ Pourquoi ne puis-je demeurer dans le temple d'Artémis, coupe-je tant cela me semble mon vœu le plus cher.

_ Il ne peut y avoir deux Grandes Prêtresses, Alia, pas plus qu'il ne peut y avoir deux reines. À la mort d'Isoha, peut-être...

_ C'est injuste.

_ Ce sont nos lois, se contente-t-elle seulement.

Elle n'ajoute rien. Mon empressement à rester dans le temple, à suivre encore l'enseignement de mon maître semble la décevoir. Mais je veux coûte que coûte percer le mystère du poison du roi. Je ne vois pas d'autres moyens. J'aurai au temple tout ce dont j'aurai besoin. La vie près de la forêt n'est-elle pas mon refuge ? N'ai-je pas été folle de rêver d'ailleurs ? J'aperçois mon reflet dans l'onde du bassin et il me revient en mémoire les yeux clairs d'Iolass, le trouble que j'ai ressenti serrée contre lui. De cela aussi les bois, mes loups, mes aigles me protègeront. Pourtant je ne peux résister. Lorsque ma mère m'annonce que les Atlantes dresseront dès demain leurs bûchers funéraires, comme leur loi l'exige, je demande avec empressement à assister aux funérailles. Mon initiation achevée, je peux sortir du temple, voir le monde du moment qu'aucun homme ne me fréquente. Elle refuse. Je plaide ma cause. N'ai-je pas assisté à leur trépas, retenu presque malgré moi leur dernier souffle ? N'ai-je pas placé moi-même l'obole pour leur passage ? Elle se montre inflexible et m'ordonne sèchement de retourner à mes occupations premières. J'obéis, rongée par la colère. Ma mère se défie de moi. Après ses chaudes félicitations, pourquoi ? Le temple d'Artémis n'est qu'à quelques pas du palais royal, collé aux remparts des falaises de l'ouest, face à la mer. Je retrouve enfin mes compagnes qui m'assaillent de questions. Elles veulent tout savoir. J'ai toutes les peines du monde à rejoindre mon dortoir. Elles ne cessent de pépier. Là, la porte à peine refermée, Psyché me conduit aux petits thermes, mes préférés. Je me laisse glisser dans l'eau si chaude du bassin. Muette et choisie pour telle, son silence m'apaise. Elle me fait signe, dessinant doucement une larme sur sa joue. Je pleure ? Non, les Amazones ne pleurent jamais. 

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant