Iolass

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La vie dans l'andréion poursuit son cours, si tant est qu'elle ne l'ait jamais interrompu. Je m'accorde une journée de loisir de mon travail de bureaucrate acharné. Baal me propose des exercices physiques et j'accepte. Courir, lutter à la palestre me distraient. Je n'ai pas envie de penser ; aujourd'hui mon esprit prendra une pause. Alia n'a-t-elle pas parlé de la destruction de l'Atlantide ? Je suis coincé ici. Autant me défouler.

Baal se défend bien. J'ai sous-estimé mon camarade d'infortune. Certes ses techniques de combat sont plus sauvages, plus instinctives mais il lui arrive de me surprendre. Il me donne quelques minutes de résistance ; plus que je ne l'estime nécessaire. Je suis rouillé. Sa mise à terre provoque l'hilarité d'un groupe appartenant à Hippolyte qui se répand en insultes efféminées. Cela me déplait. Mon regard seul sert de provocation. Baal essaie de me contenir mais l'affrontement est inévitable. Je le souhaite trop.

_ Ce sont des guerriers d'une terre du nord. Laisse tomber !

Des guerriers ? Tiens, tiens, voilà qui fera l'affaire. Je titille leurs nerfs trop prompts à répliquer. Un homme plus âgé s'avance :

_ Messieurs ! Si vous tenez à une dispute, faites-le dans les règles. Vos maîtresses ne sauraient le tolérer.

Hippolyte peut-être mais Alia ? Rien n'en est moins sûr. D'ailleurs pourquoi n'a-t-elle pas parue aujourd'hui ? Dans quel état est-elle ? En quoi son absence peut-elle m'insupporter ? Son visage serein, apaisé me revient, la chaleur de sa peau abandonnée aussi. Depuis combien de temps n'ai-je pas pris une femme ? Quelle faiblesse. Un duel, parfait. L'occasion est trop belle. Des épées émoussées ? Dommage ! Jusqu'au premier sang ? D'accord, ils ne méritent pas plus. Tous les coups permis, génial !

_ Tu es sûr, me chuchote Baal en m'équipant d'un plastron. J'ai dans l'idée que ta princesse ne va pas apprécier.

Je ne l'écoute déjà plus. À trois contre un, cela me semble équitable. Les pauvres, contre un atlante. Ils ne doivent pas vraiment savoir à quoi s'attendre. Mais voilà qu'Hippolyte paraît. Elle observe la scène, salue l'homme le plus âgé, semble calculer les forces et sourit. Elle prend un siège pour le spectacle.

Ces barbares se battent d'une manière stupéfiante, parfaitement coordonnée. Bien, je m'amuse. Le premier n'a pas le temps de me voir venir. Un bond suffit et un filet de sang surgit de sa main gauche. Pas de moment d'inattention avec moi. Des guerriers ? Comme si je n'en étais pas un. Évidemment pas entre ces murs, simplement le faux amant d'une adolescente torturée. Pas mal pour un lâche, raillent les amants d'Hippolyte. Leurs insultes de plus en plus ciblées me touchent peu. Hippolyte attise ma frustration. C'est vrai, je n'ai pas touché sa sœur. À quoi bon, ce n'est qu'une gamine apeurée.

Les épées crissent agréablement à mes oreilles. Sous les assauts, le fracas du métal me rend vivant. Et de deux ! Une botte bien de chez nous. Toujours trop rapide. Je dois me calmer. Faire durer. Mon plaisir, un peu... La guerrière s'amuse aussi. Le combat est d'une tenue propre à la contenter. Dire que je me bats seulement comme un homme. Une seconde et l'Atlante que je suis les aurait massacrés ! Enfin, ce ne serait pas très fairplay. Alia est absente évidemment. J'ignore ce qui me prend mais la rage se fait plus forte. Je crois que j'aurais dépassé le premier sang si une voix forte ne m'avait ordonné :

_ Suffit !

Larchos vient d'arriver sur les lieux : Iolass, suivez-moi !

Même Hippolyte se lève mais elle n'ose défier le gouverneur et tourne les talons. Le jeu est fini. Je vais me faire gronder. Ma rage ne va pas s'évacuer de si tôt. Le vieil homme m'entraîne dans une partie inconnue de l'andréion, légèrement à l'écart, bloquée contre le palais royal. Il congédie tous ses serviteurs. D'un signe, je comprends que je dois m'asseoir. Son regard aiguisé cherche à m'arracher des réponses. Lesquelles ? Ai-je transgressé une loi fondamentale ? Un peu d'hypocrisie de devrait pas faire de mal :

_ Pour le duel, je suis navré.

_ Ces broutilles ne m'intéressent guère. Les amants d'Hippolyte peuvent être rabaissés de temps en temps ; cela ne leur fait pas de mal.

_ Mais alors, que fais-je ici ?

Il devient sombre, autoritaire et me fait face :

_ Que savez-vous des règles de succession chez les Amazones, Prince Iolass ?

C'est la première fois qu'il me donne si sérieusement mon titre royal. J'en suis dérouté. C'est plus important que je ne le croyais. La reine ? Va-t-elle mourir ? C'est absurde ! Elle est en parfaite santé. Que veut donc ce vieillard têtu ?

_ Et bien, je connais la règle du duel.

_ Savez-vous ce qu'il adviendra aux amants de la vaincue ?

_ Rien de très agréable, je suppose.

_ Ils sont jetés dans son bûcher funèbre.

Charmant. Mais la reine n'est pas morte. Cette discussion n'est-elle pas prématurée ?

_ Alia ne remportera pas ce duel !

D'accord, d'accord, il veut qu'on en parle, certes mais à quoi bon ? Je mourrai en même temps qu'elle. La belle affaire. À moins que je ne la forme ? Tiens, c'est une bonne idée, non ? Il a pu juger de mes qualités en la matière. Le vieil homme atténue mes ardeurs.

_ Vous pensez comme votre père. Elle refusera le combat.

Sans doute n'a-t-il pas tort bien qu'Alia ne porte guère sa sœur dans son cœur. Elle ne semble éprouver de sentiment fraternel que pour Tirésias. Et pourquoi cette allusion à mon père ? Qu'est-ce que le roi atlante vient faire là ?

_ D'ailleurs où en êtes-vous exactement dans vos relations avec la princesse Alia ?

Je ne suis pas certain du sens qu'il mette dans ce terme, ni de la réponse qu'il espère.

_ Je crois que nous n'en sommes nulle part.

_ Savez-vous ce que doivent d'abord faire les filles de la reine avant le combat ?

_ Vous semblez savoir que je l'ignore. Ne peut-on pas en venir aux faits ?

_ Elles doivent prouver qu'elles sont passées à l'âge adulte, qu'elles sont des femmes à part entière. Alia n'en est pas là, n'est-ce pas ?

La question est impérieuse. Je suis stupide de croire que ce vieux fou peut se soucier de ma personne. Seul l'enlacement de nos corps ce matin l'a inquiété. C'est inouï. On m'a voulu son amant et maintenant on me gronde parce...

_ Non ! Mais il faudrait savoir ce que la reine souhaite.

_ Je n'ai cure de la reine, fulmine-t-il. Si Alia n'est point adulte, elle ne combattra pas !

Je retrouve mes esprits. Cette conversation est surréaliste. Bien sûr ! Je ne mets guère longtemps à comprendre. Un seul homme peut me demander une telle chose.

_ Vous ? m'étonnè-je sans illusion sur la réponse.

_ Père des jumeaux seulement, répond-il apaisé.

_ Et que deviendra-t-elle ?

_ La prêtresse d'Artémis, je suppose. Vous partirez dans la maison de la reine.

_ D'Hippolyte ? Peu importe ! Si j'ai bien saisi, vous exigez que je ne touche pas Alia.

_ Pas plus que nécessaire. Vous êtes un atlante, vous avez d'autres moyens.

Je reste bouche bée. Comment peut-il savoir ça, bloqué entre les murs de l'andréion ? La reine... Elle a fréquenté les Atlantes de près si j'en crois Méphistès. Mais qu'attend-il de moi ? Tout et son contraire. Et si la reine mourrait dans vingt ans ?

_ Cela changerait-il les règles du duel ? sourit-il. Pour le reste, l'andréion a quelques servantes qui pourront vous satisfaire.

C'en est trop :

_ Pour qui me prenez-vous ?

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant