Iolass

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Le père et le fils ! J'aurais dû m'en douter. Revoir mon mentor me procure un sentiment de sécurité intense. Alia le ressent et se détend à son tour. Elle s'en sort bien. La présence de l'amiral nous laisse un peu d'espoir. Peut-être peut-il reconquérir l'influence du roi ?

_ Iolass, quelle est cette présence en elle ?

_ Les voix d'Hadès, Amiral, Alia les a affrontées.

_ Ou subies c'est selon, précise-t-elle.

Le vieil homme sourit. Alia a trop peu conscience d'elle-même pour saisir la valeur de cet exploit.

_ Vous êtes déjà très loin dans votre initiation.

_ Je le crains en effet, admet-elle.

_ Mais je ne parlais pas de cette présence là.

Voilà qui se complique. Avouer être en elle comme elle est en moi serait une faute considérable. Je nous ai mis en danger, je le sais. Mais il est trop tard pour les regrets. Comment aurais-je pu savoir qui elle est ? La perspicacité de mon maître m'ébranle.

_ Je vois, se contente-t-il avant de déclarer. Chaque homme ici a renouvelé son serment, chaque homme vous a reconnu comme le seul et l'unique héritier du trône, prince Iolass. Autant le dire sans ambages, nous sommes ou serons bientôt considérés comme félons. Mais cela importe peu. Que chacun le sache, que chacun prévienne ses hommes : Alia possède le pouvoir des Sirènes. Il est trop tard pour regretter leur retour. Il ne tient qu'à nous qu'elles ne nous détruisent pas. Sa personne est sacrée !

Chaque homme jure : jusqu'à la mort, sa vie leur sera sacrée. J'ai obtenu ce que je suis venu chercher. Chaque officier se dématérialise pour regagner ses quartiers, son navire. Alia n'en est que plus perturbée. Elle a clairement perçu le danger qui la menace, cela ne l'effraie pas ; à présent elle pressent celui qu'elle pourrait être.

_ Le pouvoir des sirènes ? balbutie-t-elle en direction du vénérable amiral.

_ C'est ainsi que nous vous appelons.

_ Je ne suis pas la première.

_ Je crains que non.

_ Mais vous avez dit que j'étais l'élément premier. Qu'est-ce que cela signifie ?

_ Il n'est pas temps pour vous de découvrir ces choses-là.

_ C'est un long chemin, ajoute le général Oloros goguenard.

_ Dites-moi au moins de quoi il est question, supplie-t-elle désespérée.

_ Elle n'est pas prête, m'interposè-je.

_ Je veux l'entendre.

_ De déluge ! lâche le général devant son père.

Alia ne comprend toujours pas, aussi l'amiral répète impérieux :

_ Il n'est pas encore temps. Disons juste qu'il ne vous est pas permis de mourir. Notre monde n'y survivrait pas.

_ Ma vie et celle du monde seraient entremêlées ?

_ Quelque chose comme ça. Iolass, emmenez la Sirène dans ses quartiers. Ce navire est le vôtre. Puis, Prince, vous pourrez aller rassurer la reine. Nous protègerons sa fille.

Alia n'insiste pas. Elle sait quand rendre les armes. Elle a déjà tant à assimiler. Le navire atlante l'émerveille. Les portes s'ouvrent horizontalement sans que nul ne les actionne. La lumière blanche éclaire les murs sans flambeaux ni flammes. Mentis nous guide vers une cabine qui m'est familière : la mienne sur la nef royale.

_ Belle réplique, n'est-ce pas ? On voulait vraiment croire que tu rentrerais à la maison.

_ Ne la tente pas !

Il nous laisse seul. Alia examine chaque détail. Tout est si nouveau. En d'autre temps, cela m'aurait amusé. Elle est comme une enfant devant un nouveau jouet. Passant à la verticale d'une console, je tamise la lumière. Ses yeux ne sont pas habitués à autant de clarté. Elle me sourit à m'en faire chavirer. Fuir serait sûrement utile. Sa fragilité en cet instant me vaincrait.

_ Ne pars pas, s'empresse-t-elle.

_ Il le faut.

_ Je ne veux pas te rendre les choses difficiles, s'excuse-t-elle. Otage contre otage ?

_ Oui.

Si seulement elle pouvait s'empêcher de s'approcher, de se blottir contre moi, de passer délicatement sa main sur mon torse, alors oui, peut-être les choses seraient moins difficiles.

_ Promets-moi de veiller sur toi.

_ Je te le promets.

_ Non, supplie-t-elle. Promets de veiller sur toi comme ils ont juré de veiller sur moi.

_ En atlante ?

_ Vos serments sont sacrés, n'est-ce pas ?

_ Pire que cela, ils engagent plus que notre vie même.

_ Alors promets. Promets-le. Je t'en prie, sanglote-t-elle.

_ Pourquoi ?

Cette question la bouleverse. Ses yeux baignés de larmes s'engouffrent dans les miens quand du bout des lèvres, elle avoue :

_ Je t'aime !

_ Tu ne dois pas.

_ Je t'aime ! répète-t-elle avec fougue. Promets-le moi !

Je jure comme mes amis avant moi. Je reviendrai vivant puisqu'elle le désire. Mais j'ai moi-même fait le serment de la protéger jusqu'au bout. Entre ces deux serments, à moi de voir. Je sèche ses larmes et l'abandonne, seule, au milieu des Atlantes. Mentis patiente devant la porte. Amusé, il me toise :

_ Et bien, elle obtient tout de toi ! Sacré serment.

_ Tais-toi ! Eliâtre est ici ?

_ Je croyais que tu ne voulais pas tenter l'antidote.

_ Ce n'est pas pour moi.

_ Où veux-tu qu'il soit ?

_ Qu'il voit son bras.

Le rire sonore de mon ami me rassure. Mentis me connaît mieux que quiconque.

_ Il la verra, promet-il. Ne t'inquiète pas, je serai son ombre. Ils la craignent, c'est vrai, mais aucun n'a oublié ce qu'il lui doit.

Notre amitié n'a en rien souffert de mon esclavage. 

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant