Alia

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D'après Psyché et Cyrène, je suis restée endormie plus de deux nuits. Le soleil est déjà haut dans le ciel laiteux de ce début d'hiver. Que de temps perdu ! Je m'en veux. Iolass et Baal se sont bien présentés mais l'Atlante a jalousement veillé sur mon sommeil. Il devient trop protecteur à mon goût. Psyché conformément à mes ordres a préparé les fioles mais elle n'a pas osé leur administrer. C'est compréhensif. Comment aurait-elle pu leur expliquer ce qu'elles contenaient ? Méfiants, ils ne se seraient pas laissés faire.

Je me prépare à la hâte. D'après Cyrène, ma mère s'est enquise de ma santé régulièrement. C'est inhabituel. Je chasse cela de mon esprit. Ma tenue de chasseresse revêtue, je me dirige vers l'andréion. J'ignore où trouver Baal mais Iolass a tranquillement repris ses marques au cœur de la bibliothèque. Il se montre satisfait de ma présence, presque amusé.

_ Trouve Baal et rejoignez-moi aux écuries.

Son visage se transforme. Mon ton péremptoire ne lui laisse aucun doute. En ces murs, je suis la maîtresse, lui l'esclave. Les secrétaires guettent sa réaction. Ses sautes d'humeur sont désormais notoires. Il pose calmement son calame, se lève et s'incline respectueusement. Voilà qui est posé. Je file rejoindre Bélérophon et préparer deux montures susceptibles de suivre son rythme. Je suis heureuse de le retrouver. Isolé des autres, il galope tranquillement dans son enclos. Il se rue d'un trot joyeux vers moi dès qu'il m'aperçoit. Je lui caresse l'encolure comme on salue un ami et lui demande la permission de le monter. Je sens son autorisation, son impatience à présent, saisis la crinière pour me hisser sur son corps imposant. Je revois les montagnes de l'est, les plaines désertes du royaume, la forêt de cèdres. Un regret noue ma gorge, un regret de liberté. Le temps n'est pas venu. Iolass et Baal arrivent. Deux guerrières leur présentent les chevaux. Ils ne me posent aucune question. En fait, ils ne peuvent le faire. Je lâche Bélérophon. Nous ne quittons que la première enceinte mais après avoir longé les murs du temple d'Artémis nous bifurquons vers l'ouest. Là, à quelques lieues du palais, se dressent les plus hautes falaises de calcaire blanc. J'aime ce lieu. Peut-être parce que les Amazones l'abandonnent. Pourquoi garder un tel endroit? Personne n'envahira par là. Ses murailles naturelles balayées par le vent inlassable me tentent. La mer au pied a des reflets turquoise mouchetés par les rocs qu'elle a arrachés. Une fine brume couvre l'horizon et dérobe à mes yeux le monde auquel j'aspire. Je descends de cheval et m'approche. La hauteur ne m'effraie pas mais en bas : de l'eau, de l'eau, partout. Non décidément je ne sauterai pas. Iolass s'approche étonné, Baal reste en réserve.

_ On dit que sur l'Atlantide vous plongez de bien plus haut, parfois de l'étoile de Poséidon ?

Il se penche prudemment pour examiner la distance puis répond rassuré par mon badinage.

_ C'est vrai.

_ Tu l'as fait ?

_ Je n'ai jamais été très sage.

Je reviens vers les chevaux et m'installe à même le sol. Je prends dans ma ceinture les deux fioles que j'ai préparées :

_ Buvez.

_ Qu'est-ce ? s'étonne le prince.

_ Une simple précaution. Les princesses amazones et la plupart des femmes de notre peuple sont immunisées contre le poison par de petites doses tous les jours. C'est totalement indolore et très efficace. Quant à vous Baal, retirez vos bracelets. Vous porterez ceux de ma sœur. Nul ne doit savoir que vous êtes désormais de ma maison.

_ C'est déjà le cas. Votre sœur a déjà exigé la même chose, précise-t-il tout en portant ma drogue aux lèvres seulement après que Iolass ait bu la sienne sans mourir dans la minute.

Je leur explique ce que j'attends d'eux. Si Démétrius a bravé les rudes conditions d'un voyage hivernal, s'il est prêt à traverser les montagnes de l'est pour nous interroger, c'est qu'une chose grave l'y a conduit. Son empereur nous soupçonne de nous armer et de récolter du métal à n'importe quel prix. Je veux savoir pourquoi, je veux savoir surtout qui peut organiser un tel trafic. Je suis très claire sur ce point, tout le monde doit être soupçonné. D'après ma vision, nous n'avons que jusqu'au printemps. Le temps presse. Après il sera trop tard. Cette armée-là, nous la verrons de trop près. Mais je veux autre chose : de Iolass, la lecture, et de Baal, le nom des plantes qui me manquent. La perspective de l'antidote du poison de l'andréion m'a révélé une information aussi capitale qu'évidente. Je ne résoudrai l'énigme du poison hyksôs qu'avec des plantes hyksôs. Baal est un chasseur, un homme de la terre et de la forêt, un homme d'Artémis, il connaît ces secrets-là. 

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant