Alia

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_ Vite, suivez-moi !

Mentis ? Le glaive à la main ? Que se passe-t-il ? Pourquoi me réveiller ? Quels sont ces hurlements ? Non ! Nous sommes attaqués. Qui ? Pourquoi ? J'ai du mal à rassembler mes esprits. Mon garde du corps me tire du lit sans ménagement et m'entraîne déjà dans les couloirs. Ma ceinture ! Je lâche la main de mon protecteur pour retourner à ma cabine. Il me rattrape et veut m'en empêcher.

_ L'antidote de l'andréion !

Il plaque violemment sa main sur ma bouche. D'accord, ne pas me faire remarquer ! Nous revenons sur nos pas. Je me hâte. Le glaive de Timos ? J'accroche tout cela sur mes hanches. Je suis pieds nus, à peine vêtue d'une simple chemise, sans aucune protection. Au moins je serai libre de mes mouvements. Je tente de rassembler mes esprits et tâche de mettre mes sens en éveil.

Du vacarme, le cliquetis des armes provient des ponts supérieurs. Nous avons été abordés. Nous avons quitté l'Égypte depuis trois jours, nous serons bientôt à Thermiscyre. Plus que deux jours et je reverrai ma mère une dernière fois. J'ai souhaité que le convoi se sépare et que les armes offertes par Pharaon partent sur d'autres navires atlantes. Méphistès a repris le commandement de sa trirème. Alors qui ? Les cavaliers pillés n'étaient pas les seuls à envoyer leur message. Qui ?

_ Des mercenaires ! m'indique Mentis, des pirates ! Ils nous attendaient, c'est une embuscade.

_ Sur mer ?

Ma réaction est d'une naïveté déconcertante. Bien sûr sur mer ! Mentis marque une pause :

_ Ils sont très nombreux. Le navire amiral est le seul à avoir été pris d'assaut. Vous êtes la cible ! Le Triton est venu à notre secours mais cela ne suffira pas.

_ Et mon frère ?

_ Il a continué sa route.

_ Quoi ?

Je suis horrifiée. Il m'abandonne.

_ Ce sont les ordres ! Alors écoutez bien, nous allons sortir de cette cabine, nous allons nous battre droit devant, sortir sur le pont et nous allons sauter...

_ Dans l'eau ?

_ Vous n'avez pas le choix ! Méphistès nous récupèrera.

_ L'amiral, vos hommes, Cilia ?

_ Alia, reprenez-vous, exige-t-il. Prête ?

Ai-je le choix ? Nous ouvrons la porte et courons droit devant. Nous montons sur le premier pont. Mentis ne fait pas dans la dentelle. Il se bat pour tuer. Nous devons passer, son but est clair. Pas un ne m'approchera. J'avance glaive à la main mais bien inutile. Le pont supérieur ! Le combat y fait rage. Tout n'y est que duel, corps à corps. Un navire inconnu s'est attaché au nôtre et il en sort des assaillants comme s'il en pleuvait. Mentis ne faiblit pas. Tous les Atlantes sont dans la mêlée. Les pirates, bien qu'en surnombre éprouvent des difficultés. L'issue de l'assaut est incertaine. Je repère le général le glaive à la main en train de se défaire de trois hommes à la fois. Il se tourne vers nous. Par Artémis ! Son visage ! Ensanglanté. Il est blessé, grièvement sur tout le côté gauche, brûlé. Je suis tétanisée. Il hurle mais je ne l'entends pas. Ses lèvres baignées de sang bougent inlassablement. Je ne comprends pas. Je ne sens qu'une poigne ferme me saisir par la taille, m'emporter et le goût du sel qui envahit ma gorge. Ne pas paniquer ! Ne pas paniquer ! Des flèches fusent dans l'eau de toute part. Une force infaillible me plaque contre la coque. Je suffoque ! De l'air, de l'air ! Très vite, mon corps perd sa consistance. Le va et vient des courants se mêlent au rythme effréné de mon sang. Ça, je connais ! Ne pas résister, surtout ne pas s'y opposer, laisser faire ! Oloros ? Ils vont tous mourir. Nous aurions dû nous battre, les aider. Rester ! Je ne peux pas, je ne peux les laisser, les abandonner. Malgré moi, mon esprit refuse de partir, de me fondre ainsi dans l'onde pour fuir aussi facilement. Mes poumons s'étriquent à m'étouffer. La surface ? Enfin ! Je n'entends que deux voix avant de comprendre.

_ Machines avant, toutes ! hurle Méphistès.

_ Calme-la ou elle va tous nous tuer !

La gifle sur mon visage me ramène à plus de raison. Les tuer ? Nous tuer ? Qui ? Pourquoi ? Sous mes yeux incrédules s'élèvent des vagues gigantesques, encerclant de leur prison liquide la trirème de mon frère. Comment ? Mentis m'a conduite ici. La houle semble suspendue, mur infranchissable, figée, sans volonté. Je n'y comprends plus rien. Je reprends mes esprits et me tourne vers mon frère. Soudain, alors que je quitte mon effroi, sans prévenir, les lames s'effondrent abandonnées par leur maître. Je recule. Non ! Ça ne peut pas être cela ! Ce n'est pas moi, ce n'est pas moi. Le navire de Méphistès file à présent à toute vitesse, s'éloignant au plus vite de la zone de combat.

_ Vous les laissez mourir ?

_ Ce sont les ordres, corrige Méphistès. Ne t'en prends pas à lui. D'ailleurs maintenant que tu es ici, ils vont pouvoir se battre.

Et qu'était-ce jusque là ? Une petite fête ? Mentis fixe l'horizon. Je me précipite vers le bastingage mais n'y vois que des navires entremêlés que nous fuyons à vive allure. Comment d'ailleurs pouvons-nous aller si vite ?

_ Tant que tu étais sur leur navire, reprend mon frère d'une voix apaisante, les Atlantes se battaient comme des hommes ; maintenant ils vont pouvoir se battre comme eux seuls savent le faire.

_ Pourquoi ?

_ Cela fusait de toute part. Tu n'es pas atlante, leurs armes, leurs dons auraient pu t'atteindre. Nous ne pouvions prendre le risque.

_ Mais Oloros ? Il n'y survivra pas, gémis-je.

_ Le général a été pris par surprise. Une flèche enflammée l'a blessé au début de l'attaque, précise Mentis.

Méphistès ne relève pas. Il m'entraîne vers sa cabine. Je m'assois prostrée sans vraiment réaliser. Le visage défiguré du général me hante, refuse obstinément de quitter mes pensées. Et s'il survivait ? C'est impossible. Ce regard, rempli de colère, violent et limpide, fixé sur moi. Non, je refuse d'y croire. Le côté gauche sanguinolent. Pourtant l'évidence est là. Je m'étrangle. Cela ne finira jamais. Toujours les voix d'Hadès auront raison. L'homme au masque ! J'ai fait de Kalian Oloros, l'homme au masque.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant