Le temps semble suspendu. L'air de la nuit apaise la terre entière. Les bruits dans le palais s'éteignent. La forêt abandonne le vent et ses chimères pour se raidir dans une immobilité sans fin. Cyrène et Psyché dorment profondément. Leurs respirations régulières, leurs corps soulagés retrouvent un peu de paix. La nuit est belle.
Assise sur la balustrade, mon esprit désespérément vide flotte. J'attends. Rien de plus. À contempler la lune, je m'y perds davantage. J'attends encore. Mais quoi ? Des images, des signes qui ne me parviennent pas. Ma raison fuit devant eux ? Fuit, oui, mais quoi ? La peur ? Pourquoi ? Je voudrais tant y voir clair, déchirer le brouillard qui m'entoure, être capable d'affronter ces augures. La vérité en face, crue et nue. Mais je me défile. Je déplore ma solitude si souvent. Là, même Tirésias m'abandonne. Il a une de ces sortes de crainte religieuse qui contraint tout. L'abandon... C'est ce qu'il me préconise. Pourquoi pas ? Après tout ?
Je ne sais pas trop ce qui me prend. Je saute purement et simplement. Mes pas sont fermes, définitifs. Le doute étouffé, je vais parmi le dédale du palais vers la porte des guerrières. Le temple d'Arès, royaume incontesté de ma chère sœur. Ils sont là, dans la première cour, magnifiques, impatients. D'un œil vif, ils sentent ma présence. Je ne suis pas à ma place ici. Leurs hennissements me rassérènent. Le plaisir me grise. Est-ce si évident ? Pourtant aucun ne retient mon attention. Je sais qui je veux. Je sais que lui seul me portera là où je compte me rendre. Je traverse les écuries, vers l'enclot en contrebas. Il est à l'écart. Indomptable, nerveux, si sombre sous la lumière d'argent, il tourne impatient, sauvage : Bélérophon. Je veux une monture rapide. Il l'est, j'en suis sûre, plus rapide que le vent.
Je passe sous la clôture sans une once d'hésitation, plus avide que jamais. Il ne fuit pas ; pire, il arrête son manège et me fait face. Les sabots de sa jambe droite martèlent le sol. Je suis la servante d'Artémis, celle qui voit par sa voix, il ne pourra pas me faire du mal. Il faut qu'il m'emmène, aussi loin que sa course pourra nous porter. Les montagnes de l'est d'abord, pour éviter les fermes de l'arrière-pays, la forêt des grands cèdres ensuite, avant... le fort d'Alcantara et la frontière, au nord. Nos corps rapprochés se défient. Son souffle puissant irise mon visage en vagues saccadées. J'attends, suppliante. Il est le maître, il ne pourra que me tolérer. Une danse imperceptible commence entre nous. Que cherche-t-il ? Il faut croire que l'animal tente de m'apprivoiser. Sa crinière effleure ma main. Je l'agrippe. Rien. Pas une ruade, pas une fuite. Ses jambes fléchies, son cou baissé m'indiquent la direction à prendre. Il m'accepte.
En un éclair, je gravis ma montagne équestre qui m'emporte aussitôt. D'un bond, l'enclos est franchi. Les rues du palais, celles de la cité, la porte de l'est, la dernière enceinte disparaissent comme par enchantement. Les gardes n'ont guère le temps de réagir. Peu m'importe. Le vent fouette mon visage enfoui dans sa crinière de nuit. La lune, astre de ma bienfaitrice, éclaire la poussière de la piste. La nuit appartient à Artémis, cette nuit ne sera qu'à moi. Je ne me retourne pas. Je veux des réponses ? J'irai les voler. Alors non, je ne me retournerai pas même si les pleurs d'Akra ont emporté tous ceux des loups de la cité. Ma louve sait. Qu'elle me pardonne ! Ilia aussi, attaché pour la première fois. Leurs hurlements plaintifs déchirent la plaine. Oh non, je ne me retournerai pas. Mon destrier accélère. Il ne court plus, il vole. Je m'y abandonne.
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Déluge
FantasyAlia sait qu'elle va mourir. Sa sœur la tuera lors du combat de succession au trône des amazones. Elle n'a pas peur, la mort est une vieille compagne qu'elle attend en profitant de sa liberté. Mais un navire étranger bouscule son destin. Elle va dev...