Le début est toujours difficile.
Comment commencer une conversation avec une fille qu'on ne connaît pas ? Comment ne pas lui donner l'impression de l'agresser ?
La banlieue défilait derrière les fenêtres du RER, mais Christophe ne la regardait pas, trop de gris, comme souvent le temps sur Paris. Il observait discrètement une femme à deux rangées de lui, brune, méditerranéenne, maghrébine certainement... Ou peut-être... Il est parfois difficile de se prononcer sur les origines d'une personne, les cultures se mélangent et les types physionomiques avec.
Elle était belle, simplement, avec ses longs cheveux bouclés cascadant sur ses épaules, ses yeux sombres, ses pommettes légèrement arrondies et sa peau à peine mate. Leurs regards s'étaient croisés durant un court instant, et il lui semblait qu'elle avait esquissé un sourire... Simple politesse ?
Le visage emprunt de détermination, elle fixait de ses yeux noirs un point imaginaire loin derrière la vitre. Christophe aurait voulu pouvoir ralentir le temps, comme dans ces feuilletons stupides, pour admirer longuement chaque battement de ces cils. Et il se surprit à rire tout bas de sa propre bêtise.
Mais il ne pouvait détacher ses pensées d'elle.
Elle le captivait.
Se forçant à ne pas la regarder trop fixement, il détourna les yeux et croisa son propre reflet sur la fenêtre. Avait-il sa chance ? Était-il celui-là ? Brun, le visage un peu carré, son seul véritable atout était ses yeux bleus. Mais cela n'était pas suffisant, il ne se trouvait pas beau. Pas laid non plus... Il était athlétique pourtant, très sportif. Et pourtant...
Il plissa les yeux, réalisant ce qui lui manquait avec une acuité blessante. Il n'avait pas d'éclat. Il n'était qu'un parmi d'autres.
Sans compter qu'il n'était pas vraiment un beau parleur...
Pourtant cela ne devait pas être si difficile...
Le problème était que de l'autre côté de la traverse, trois jeunes filles papotaient, trois jeunes filles bientôt femmes, qu'il connaissait parce qu'il fréquentait le salon de coiffure dans lequel elles étaient en formation. La première d'entre elles était asiatique, petite, les cheveux aile de corbeau, plutôt mignonne même si elle était très ronde, ou peut-être à cause de ça. Son rire franc et gaie avait un quelque chose de rafraîchissant. La seconde sans conteste européenne, avait de magnifiques longs cheveux châtain, droits et coupés en frange sur le front. Elle était jolie aussi, mais dans un style plus « jeune fille », peut-être un peu fine. La troisième, qu'il avait plusieurs fois croisé dans la cité, était d'origine algérienne. Elle avait un visage serein et réfléchi. C'était elle qui lui avait lavé les cheveux la dernière fois. Elle devait s'appeler Samya, plutôt gentille, un peu réservée... d'une discussion agréable en tout cas. Qui plus est, elle avait terminé le shampoing par un massage crânien qui l'avait laissé particulièrement détendu. Ils avaient échangé quelques paroles dans une ambiance plutôt drôle, à cause d'une cliente farfelue qui venait de quitter le salon. Elles lui avaient laissé une bonne impression.
Christophe n'avait pas envie de se faire afficher devant elles.
Pourtant, il fallait bien qu'il se décide. Les premiers tunnels précédant la gare du Nord étaient proches. S'il voulait soutirer un numéro ou un rendez-vous à cette brune si belle, il ne lui restait que peu de temps. Et puis quoi ? Qu'avait-il à perdre ? Il suffisait de faire preuve d'humour et avoir suffisamment d'à propos... Au pire il pourrait s'en tirer avec un sourire en cas d'échec.
La tchatche, cela ne devait pas être si dur que ça, il fallait juste trouver l'amorce...
Christophe se leva, tout en se demandant par quels mots il allait entamer la conversation. Quelques phrases stupidement anodines s'entrecroisaient dans son esprit, à une vitesse inversement proportionnelle à la distance qui s'amenuisait. Et soudain un choc brutal le propulsa comme une fusée vers l'avant.
« Entrée en scène ratée ! » pensa-t-il en un éclair, alors qu'il passait entre la jeune femme et les trois apprenties coiffeuses. Il buta sur une valise et s'affala contre la poitrine opulente d'une fatma éberluée.
D'autres pensées se bousculèrent en son esprit, tandis qu'une violente alternance d'éclairs et de noirceur blessaient ses yeux : « Qu'est-ce que c'était que ces bruits furieux ? Cette impression de chute en avant qui n'en finissait pas ? Et ces cris de gens effrayés, ces cris de douleurs et d'incompréhension, accompagnant le son du métal torturé ? »
Christophe était ballotté comme un jouet impuissant au rythme de soubresauts violents. Rapidement l'abrutissement causé par les chocs successifs vinrent à bout de sa résistance, et, tandis qu'il sombrait dans l'inconscience, une idée saugrenue lui traversa l'esprit ; c'était sur la brune qu'il aurait dû tomber, ç'aurait été plus agréable de danser cette gigue contre elle que contre cette grosse bonne femme qui l'étouffait...
Aïe !
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Vierge de sang
FantasyÈve courait, comme jamais elle n'avait couru. Elle sentait le terrain sous ses foulées, savait instinctivement où poser les pieds, elle était comme le vent qui file entre les arbres. Elle percevait avec une précision incroyable toutes les odeurs qui...