Chapitre 18 - 1 : Chaos

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Un cri net, violent, irrépressible.

Christophe bouscula Kim en roulant sur le côté et saisit son arme avant de se relever. Tous les sens aux aguets, il mit plusieurs secondes à réaliser qu'aucun danger ne les menaçait.

Ève pleurait. Des sanglots convulsifs secouaient son corps. Respirant par saccade, elle suffoquait à moitié, repliée sur elle-même. Des cris de négation jaillissaient de sa gorge, tandis qu'elle serrait ses mains contre son ventre.

Bagheera s'était également réveillée en sursaut et s'était éloignée de plusieurs mètres avant de revenir, après avoir compris que sa maîtresse souffrait.

Samya, qui montait la garde, se précipita sur la jeune fille et essaya de la calmer tout en l'auscultant, bientôt rejointe par Julie. Elle prit Ève dans ses bras et la ramena contre elle en lui adressant des mots apaisant. Leur amie se laissa faire, mais resta prostrée sur elle-même, comme tétanisée.

« Laisse-moi voir ! Lui cria Samya, inquiète. Qu'est-ce qu'il a ton ventre ?

- Pas mes yeux ! Pas mes yeux ! suppliait Ève.

- Quoi tes yeux ? lui demanda doucement Julie. Qu'est-ce qu'ils ont tes yeux ? »

Ses paupières fermées, on ne voyait que les larmes s'écouler sur ses joues.

Comme souvent lorsqu'ils dormaient dans des vallées à la température douce, Ève ne portait pour dormir qu'une des vieilles chemises longues qu'ils avaient récupérées. Aucune tâche de sang ne venait entacher celle-ci.

Christophe lâcha son arme pour venir se pencher sur le visage aux traits délicats.

« Tiens-lui la tête » dit-il à Julie.

Kim, la bouche ouverte de stupeur, observait la scène.

Christophe écarta les paupières pour voir si Ève avait un problème aux yeux, mais il ne discerna rien de particulier, si ce n'était qu'ils étaient animés de mouvements aussi convulsifs que son corps.

« Cauchemar... » dit Kim

A l'énoncé de ce mot, Samya se recula, puis observa plus précisément la situation.

« C'est un cauchemar ! déclara-t-elle finalement, autant à l'intention d'Ève que de Julie et Christophe. Kim a raison, elle fait un cauchemar ! »

Christophe se recula à son tour, tandis que Julie gardait ses bras autour de la jeune fille aux sanglots déchirants.

« On peut la réveiller ? demanda l'homme du groupe.

- C'est les somnambules qu'on doit pas réveiller » lui répondit Samya en se penchant de nouveau vers Ève. Elle la saisit par le visage et l'appela par son nom, sans résultat.

Christophe poussa Samya après un « Pardon » prononcé d'un ton conciliant, se pinça les lèvres le temps de raffermir sa détermination, puis asséna une gifle retentissante sur la joue d'Ève.

Sa main resta en suspens en l'air, le temps qu'il détermine si un retour était nécessaire, mais le choc semblait faire peu à peu son effet. La jeune fille ouvrit les yeux, happa l'air entre deux sanglots hésitant, puis son regard se fit clair.

Christophe s'agenouilla face à elle. Elle le fixa avec étonnement, jusqu'à ce que ses yeux se teintent d'une peine immense. Elle se jeta contre lui, la tête blottie contre son cou, secouée de sanglots incontrôlables..

Christophe échangea un regard incrédule avec Julie, avant de lâcher avec détachement : « Au moins, elle cauchemarde plus... ».


« Ça fait peine à voir » dit Kim sur un ton bas.

Elle regardait Ève, assise de profil contre le buste de Christophe, le regard perdu dans le vide, le visage emprunt de tristesse. Juste en face, Bagheera était couchée sur le sol, la tête sur les pattes avant, ne quittant pas des yeux la jeune fille.

« Ouais, approuva Samya sur le même ton. Meskina, j'ai mal pour elle. En même temps, ça m'angoisse trop ses histoires de cauchemars. C'est comme si quelqu'un l'avait envoûtée.

- J'connais des histoires de marabout dans ce genre là, releva Julie appuyée contre un arbre. Mais... j'ai pas l'impression que ça ressemble à ça. Ça me fait plus penser au truc dont vous avez parlé l'autre fois là, la... l'autre vie qu'elle aurait eu... C'est trop précis ses rêves, les gens qu'elle nous décrit, les noms, les lieux, la guerre, l'ambiance mystique... Genre, je me demande même si c'est pas pour elle qu'on est tous là. Enfin, je veux pas dire qu'on serait venu pour elle, mais juste que c'était seulement elle la personne importante que le destin aurait ramené ici. Et nous... on serait que des pièces rapportées avec elle par hasard.

- Je sais pas, répondit Samya après un long silence.

- Peut-être qu'elle a vraiment été Ameratë, avança Kim, mais ça fait bizarre. Pourtant je crois à fond dans les trucs mystiques, les esprits, la réincarnation... sauf que là, c'est Asha qui nous a amené ici.

- Peut-être qu'elle s'est faite manipulée, proposa Samya ou qu'elle est un outil.

- De qui ? » demanda Julie.

Samya haussa les épaules avant de prononcer le nom de la déesse dont parlait chacun des rêves : Aorila.

« Si c'est elle, déclara Julie, j'ai pas envie de la croiser celle-là... tous ces morts pour amener juste Ève. Ça serait trop cruel. Si c'est vraiment elle qu'est derrière tout ça, il faut aider Ève pour pas qu'elle tombe dans ses pattes.

- Il faudrait savoir ce qu'il y avait dans le cauchemar qu'elle vient de faire, dit Samya. On saurait peut-être ce qu'elle veut.

- J'ai pas l'impression qu'Ève aura envie d'en parler tout de suite, remarque Kim. Elle est trop trauma. »

La petite asiatique se retourna vers Samya et appuya son visage sur son épaule tout en regardant Julie : « Faudrait qu'on fasse quelque chose pour elle. J'ai trop de peine à la voir comme ça ».

Julie avança de quelques pas sans savoir que répondre. « Je sais pas, finit-elle par dire. D'habitude, je conseille aux gens de dormir pour oublier un peu. Mais là...

- Elle aurait trop peur de refaire un cauchemar, compléta Samya.

- On peut rien faire alors ? se plaignit Kim.

- Juste être là » déclara la jeune beur.

Les trois confidentes allèrent jusqu'à leurs amis et s'assirent, qui contre lui ou à côté d'elle. Chacune entra en contact de la main avec Ève, lui touchant le bras, les épaules, pour lui apporter un soutien dont les mots sont incapables.

La jeune fille leurs adressa un pâle sourire.

« Ça va passer, leur dit-elle faiblement.

- Ça passera, affirma Christophe avec détermination. Et à partir de maintenant je veillerai sur ton sommeil... Si jamais tu fais mine de sourire ou pleurer, j'te met une claque pour te réveiller direct ! »

Les filles sourirent de l'exagération et Julie caressa le front d'Ève avec douceur. 

« On veillera tous sur toi » compléta-t-elle.

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant