Chapitre 37 - Tentation

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Christophe écoutait.

Il écoutait le son du vent, très faible ce matin là, tout juste une hésitation entre les feuillages. Assis en tailleur dans la clairière qu'il s'était choisie pour ses séances de méditation, il essayait d'apprendre à isoler ses perceptions, ne pas faire cas des gros scarabées qui bourdonnaient, des insectes qui crissaient, de l'eau, un peu plus loin, qui ruisselait. Il se focalisait sur le son du vent. C'était un exercice difficile, qui devait lui apprendre à rester concentré et garder son esprit clair lorsqu'il tenterait de nouveau d'amadouer les puissances de la nature, sous la double tutelle du kiyé et du khohu. Il devait pouvoir utiliser leurs magies sans se laisser absorber par l'océan gigantesque que constituait le monde des esprits, les gosheruhns.

Il ne savait pas encore s'il allait privilégier la magie de l'un ou l'autre des deux chamans. Les deux avaient leur intérêt. Mais ses deux précepteurs lui avaient assuré qu'il ne lui reviendrait pas de faire ce choix. Cela devait se faire tout seul, sa nature devait déterminer son affinité pour l'une ou pour l'autre. S'il avait eu « le don de l'homme vert », il aurait pu maîtriser les deux magies. Mais lorsque Christophe avait révélé que sa mésaventure était due à l'utilisation de la gemme magique qu'il portait au front, les chamans avaient été presque déçus, surtout Iyuh. Aëlep prenait ça avec plus de philosophie. « Le caillou n'a pas roulé » disait-il, signifiant par là que rien n'était joué. Cette expression venait d'un jeu commun à toutes les tribus, comportant un caillou à huit faces, sur lesquelles étaient gravés de petits symboles, un peu comme des dés.

Comme souvent, lors des méditations qu'il s'imposait pour apprendre à maîtriser sa concentration, l'esprit de Christophe dérivait vers ses pensées intérieures. C'était normal, avait insisté le khohu, et c'était même là l'objet du test. Car c'était alors le moment où il fallait se ressaisir et revenir à sa concentration. Le jour où il parviendrait à rester une heure entière, l'esprit fixé sur l'unique sujet de son exercice, sans dériver vers autre chose, alors il serait prêt.

Christophe revint donc au vent, le souffle léger qu'il faisait d'abord en rebondissant sur le pavillon de ses oreilles, puis, plus loin, le susurrement qu'il engendrait en caressant la végétation. Et c'est ainsi qu'il perçut un autre son, le pas de quelqu'un qui avançait dans sa direction, un pas discret sans chercher à l'être, un pas léger, alerte, habitué au déplacement dans la nature.

... Une femme, petite...

Une Nesq ou une Kokori, sans aucun doute.

Christophe ouvrit les yeux et tourna le visage dans la direction d'où provenait le son. Entre les feuillages émergeait Sissima, un panier au bras, à moitié rempli de fruit. Comme toutes les Kyohnis, elle était petite, à peine un mètre cinquante. Ces cheveux noirs étaient rasés à partir de la moitié de la hauteur de l'oreille, signe qu'elle était en need'ha, la période de l'apprentissage de la sexualité et des sentiments, mais décorés de deux plumes rouges, indiquant qu'elle était également apprentie de la khaada, ce qui l'autorisait, au contraire des autres jeunes femmes en need'ha, à relâcher ses cheveux à l'arrière du crâne, tout en maintenant ceux des côtés par deux tresses, nouées sur l'occiput. Elle avait un visage fin, mis en valeur par un nez busqué, qui, loin de l'enlaidir, lui donnait du caractère. Ses yeux noirs étaient surlignés de loqha, maquillage d'un noir bleuté, autre apanage de l'apprentie chamane, lui conférant un regard intense, que son sourire chaleureux venait atténuer.

Christophe l'accueillit en souriant, car elle faisait partie des filles nesqs avec qui il était à l'aise, parce qu'il n'avait pas fait l'amour avec elle lorsqu'il était vert. Il se souvenait en effet parfaitement de celles qu'il avait rencontrées autour du village, durant la période où son esprit s'était partiellement délité dans le monde sans horizon des esprits, et où il s'était comporté de manière plutôt primitive. Il se souvenait avoir tourné autour du village durant le début de cette période et avoir proposé de s'accoupler à toutes les femmes qu'il rencontrait en âge de procréer, jeunes et moins jeunes. Il ne disait pas grand chose à chaque fois, se contentant d'apparaître devant elles, le sexe en érection. La plupart avait accepté ses avances, étrangement. Il soupçonnait avoir eu quelques pouvoirs sur elles, peut-être quelque chose d'hormonal ou des phéromones. Il avait l'impression de les avoir séduites magiquement, il se sentait un peu coupable, même s'il n'avait pas été vraiment lui-même.

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant