Chapitre 49 - Pour Julie

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Assis sur un rocher face au vide, Christophe contemplait les longs mouvements sinueux des serpents de brumes qui ondulaient au loin. Un peu plus haut, la lumière déclinante du soleil colorait les moutonnements de surface, conférant une beauté presque chaude au Dédale.

Pourtant, Christophe ne voyait rien de tout cela. Il pensait au visage de Julie, encore une fois.

Ève vint s'assoir à ses côtés, tandis que Bagheera allait laper l'eau fraîche du torrent.

« La cérémonie aura lieu à l'aube, nous partirons juste après » lui confirma-t-elle.

Il ne répondit rien. Sur son cou et ses tempes, elle pouvait voir les tout petits points laissés par les racines du bois-vivant, qui se rétractaient à chaque fois que son porteur retirait un morceau de son armure. Ils formaient un motif serpentin, un peu comme des marques de scarifications. Iyuh leur avait déclaré que porter ces marques était un grand honneur, elles montraient qu'on était un être digne des égards de la terre nourricière. Christophe n'avait pas semblé y porter attention.

Ève savait à quoi il pensait.

Aux premières lueurs de l'aube, une cinquantaine de guerriers étaient arrivés, avec les quatre autres chamans. Ils avaient marché toute la nuit pour arriver à temps, sans avoir pu y parvenir. Ils avaient célébré les survivants et loué leur victoire, puis ils s'étaient joints à eux pour laver et préparer les corps des trente deux Kyohnis tués, dont Isk-hi. La mort du plus jeune des khokuhns avait profondément émue Ève. Lorsqu'elle avait vu ses amis proches laver son corps, elle avait ressenti le besoin de s'écarter pour pleurer.

Christophe était venu la rejoindre.

« Les Kyohnis pensent que c'est bien de montrer sa peine aux défunts, lui avait-il dit, pour qu'ils partent en ayant conscience de l'amour qu'on leur portait.

- Je n'aime pas pleurer devant les autres » avait-elle répondu entre deux sanglots.

Il avait passé son bras autour de ses épaules pour l'attirer à lui et la serrer très fort.

« Alors il va falloir que tu apprennes, lui avait-il murmuré, parce que plus tard, on va faire une grande cérémonie, pour tous les morts. On y sera tous, et il faudra bien pleurer, même les plus costauds devront lâcher une petite larme pour leurs amis. Ça sert à ça les enterrements... lâcher toute sa peine. »

Ils étaient restés silencieux plusieurs minutes, puis Christophe s'était mis à parler tout bas : « Julie, on pourra pas l'enterrer...

- On pourra parler d'elle pendant la cérémonie, avait avancé Ève. De là où elle est, elle pourra peut-être nous entendre ?

- Non, avait-il vivement nier. Elle ne pourra rien entendre. Elle est là-bas.

- Où ?

- Là-bas, avait-il montré d'un mouvement du menton vers le Dédale.

- Comment ça ?

- Je l'ai sentie... Pendant que les khohus m'ancraient dans le vert, j'ai senti toutes les forces des sources sacrées qui venaient à moi, et pendant un bref moment, je crois que j'ai senti Julie.

- T'as senti quoi ?

- Je l'ai sentie, elle. La grotte où on se trouvait, c'est une source, du moins c'était une source sacrée, avant qu'il n'arrive quelque chose qui change tout. Mais je me suis quand même trouvé en contact avec. Et à ce moment là, c'était très court, mais j'ai senti sa présence.

- T'es sûr ?

- Je ne sais pas... Je l'ai sentie. Mais... si elle, si son âme est encore là-bas, là-dedans, on ne peut pas la laisser là.

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant