Vierge de sang

Chapitre 48 - 3

« Le sang bat dans mes tempes, je le sens comme un tambour qui rythme ma rage et mes peurs.

Je revois le visage de Julie, sa bouche grande ouverte sur son cri de stupeur.

Il faut qu'ils paient.

Je revois le chemin fait, toutes ces batailles pour notre survie. Contre toute attente, nous les avons toutes surmontées, nous cinq. Nous avions trouvé un lieu de paix, des gens accueillants. Même si nous ne pouvions pas revenir sur Terre, nous aurions pu être heureux ici, nous aurions pu...

Mais pas avec eux. À cause d'eux, ces fils de la mort à la peau pâle, à cause d'eux, par leurs mains, nous allons tous mourir.

J'enrage et j'ai peur, j'ai peur pour celles que j'aime.

Et eux, ces fils de putes nocturnes, je les hais.

Tant qu'à crever, autant le faire en beauté. Je vais leur en faire baver, je vais charrier toute la force que je pourrais puiser, je vais redevenir cet Homme Vert que les Kyohnis vénèrent. Quitte à disparaître, je préfère encore me fondre dans ce grand tout, renoncer à mon identité et accepter le rôle qui m'échoit, devenir leur protecteur, pour le peu de temps qu'il nous reste.

Je sens les mains des deux khohus qui pèsent de plus en plus fort sur mes épaules, ils m'enracinent et m'ouvrent. Mes sens passent au travers d'eux, en même temps qu'ils se déploient. Par leur biais, je ressens l'univers plus intensément que jamais, au delà de ce que j'ai jamais ressenti, au delà de ce que je sais. La différence, c'est que j'ai l'impression de rester moi. Ils m'aident, me guident, empêchent la dissolution de mes pensées. Ils sont les racines qui plongent de plus en plus loin dans les profondeurs de la pierre, de la montagne, jusqu'aux vallées fertiles, et me nourrissent. Mes pensées se ramifient et l'énergie du monde ruisselle en moi. La terre riche des vallées, la puissance millénaire de ces montagnes emplissent mon corps. Et puis soudain, en une pulsatile révélation, je sens des petits points brillants comme des soleils, qui m'instillent leur chaleur, leur énergie sans limite. Les vallées sacrées !! Les sources de magie d'Athallin !! Les khohus m'ont guidé jusqu'à elles et elles se déversent en moi.

Je ne peux plus mourir.

Je suis immense, infini.

Je me lève.

Mon peuple se bat pour sa survie. Des morts nombreux jonchent le sol.

Ils seront les derniers,

Car je viens. »

Ève se battait comme elle pouvait. Inspirée par sa déesse, elle virevoltait à la recherche de la faille dans la défense de l'immense guerrier qui leur faisait face, mais il se jouait d'elle. Autour d'eux, la mêlée générale avait acquis quelque chose de désespérée, tous les indigènes s'étaient réunis pour combattre les Nocturnes qui les avaient pris de flanc, mais d'autres Nocturnes accouraient, après avoir fini leur ascension. Les puissants mouflons avaient tenté de les repousser dans le vide de leur charge vigoureuse, mais ils n'étaient pas de taille, trop faciles à esquiver.

Les rapaces harcelaient leurs ennemis en fondant sur eux, pour attaquer leurs yeux de leurs serres acérées, l'un d'entre eux gisait déjà au sol. L'ours incroyablement puissant agonisait sous les coups d'un Akheraï en armure d'épines, et les Kyohnis, malgré leur courage, tombaient les uns après les autres.

Ève ne voyait plus Samya, qui leur avait été d'une grande aide au début, soutenant de ses flèches bien placées les attaques de ses alliés. Plusieurs de ses traits ornaient le corps de leurs ennemis, mais cela ne suffisait pas, loin de là, à faire pencher la balance.