Chapitre 17 - 1 : Le sacrifice

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Sous les yeux d'Ève, les plaines d'Aoush s'étendaient telle une mer houleuse aux reflets ocres et beiges, parsemées de verts. Les rafales de vent sculptaient des vagues fugitives dans les grands champs de céréales, en un gracieux ballet désordonné. L'air de fin d'été était doux sur sa peau, d'une violence caressante.

La grande route, plus loin sur sa droite, traçait un sillon blanc jaillissant de l'horizon pour rallier la cité. Derrière celle-ci, la ligne impeccable reprenait et se perdait à l'infini, en direction du centre de l'empire.

L'Aral, le large fleuve, renvoyait ses éclats bleu-vert en serpentant paresseusement, justifiant par ses nombreux détours la myriade de ponts blancs qui tachetaient le paysage d'arcs lumineux.

Peshba, la ville aux milles champs, la magnifique et riche cité dont on vantait le pourpre des toits sous le soleil couchant. Elle était un des points névralgiques de l'économie impériale.

Les mages avaient pris un pari risqué.

Ils allaient le perdre.

Mais cela ne faisait même pas sourire Ève.

Il n'y aurait pas de récolte cette année. Lorsque la prochaine aube se lèverait, la fumée des incendies monterait en gigantesques colonnes jusqu'au ciel. Il ne resterait que cendres et ruines. Plus de champs, plus de fermes, plus de cité.

L'alliance ne comptait pas occuper la région, elle s'éloignait trop de ses orientations stratégiques. Même si les immenses plaines constituaient une voie princière jusqu'au cœur de l'empire, elles pourraient se révéler une nacelle dans laquelle leurs troupes risquaient de se faire piéger. Surtout face à la cavalerie chimérique de l'empire, ces unités d'élites, montées sur des créatures surnaturelles, créées par les mages pour renverser et piétiner toute armée qui oserait s'opposer à eux.

De Peshba et ses alentours, il ne resterait que terre brûlée.

Le peuple, lui, survivrait. Cela seul comptait. Cela seul la consolait, lorsqu'elle voyait les vierges guerrières alignées un peu plus bas.

Du haut de sa petite colline, Ève, la grande conseillère, la voix d'Aorila sur terre contemplait les deux milles guerrières qui avaient dédiées la totalité de leur existence à la déesse. Celles qui avaient tout sacrifié, jusqu'à leur vie de femme, pour incarner l'image de la pureté, du don et du combat, et qui bientôt allaient consentir à l'inacceptable. Alignées en une quarantaine de rangs, elles attendaient la nuit à venir, chacune accompagnée de sa sanctive.

Tout le long de la pente douce qui séparait Ève des Vierges Guerrières, les prêtresses du culte avaient été rassemblées sous bonne escorte. Les troupes de l'Alliance étaient présentes en nombre pour les surveiller. Il semblait à Ève que leurs ennemis redoutaient un coup fourré et se tenaient prêt à réagir dans cette hypothèse. Les béreohns boronides, guerriers de deux mètres quatre vingt aux quatre bras armés, encadraient de près les vierges, tandis que les voltigeurs ichsorihns, armés de leurs précieux arcs guettaient avec attention chaque geste des prêtresses.

Autour d'Ève, les grands mages et prêtres ichsorihns observaient les évènements avec tout autant d'attention. Bien qu'elle ait déjà vu auparavant des représentants de leur race, c'était la première fois qu'elle en rencontrait de ce type. Les membres de cette caste avait la peau d'un gris plus pâle que celui de la caste guerrière, leur épiderme semblait aussi beaucoup moins chitineux. Ils n'étaient visiblement pas fait pour le combat, avec leurs segments corporels plus frêles, leur hauteur d'à peine un mètre cinquante en moyenne, soit facilement quinze de moins que celle des guerriers de leur race. Même leurs chélicères semblaient moins agressives. Cependant leurs yeux dorés brillaient d'intelligence. Leur crête osseuse faisait penser à une courte couronne entourant le crâne, un peu au dessus des tempes. Peut-être était-ce cette marque de distinction qui les désignait comme caste dirigeante pour leur peuple. Ou peut-être était-ce pure anthropomorphisme que de penser cela, car cette espèce n'obéissait en aucune façon à la logique humaine. Chez eux, tout était différent, leurs coutumes, leur mode de nutrition, leur sexualité si étrange et pourtant peut-être plus proche de celles des hommes que celles de leurs alliés boronides, ces fils de la terre au corps quasi-minéral.

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant