Chapitre 16 - 3

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Ève ouvrit les yeux brusquement.

Les branchages bruissaient indolemment au-dessus d'elle, éclairés par le feu de leur campement. Des champs d'étoiles illuminaient le ciel clair, là où la canopée présentait quelques trouées. L'air était tiède et doux. Elle avait en partie rejeté sa couverture légère dans son sommeil.

A quelques mètres sur sa droite, Julie montait la garde, elle avait donc encore du temps pour dormir avant de prendre son tour.

La jeune fille se tourna sur le côté pour changer de position. A quelques dizaines de centimètres d'elle, le visage serein de Kim souriait dans son sommeil. La jeune asiatique s'était encore endormie contre Christophe. Elle n'aimait pas dormir seule, d'autant plus lorsqu'ils traversaient une région qui leur semblait dangereuse, comme dans la grande vallée dans laquelle ils étaient entrés depuis deux jours. Ils avaient plusieurs fois aperçu des fauves solitaires venus les épier, malgré la présence de Bagheera. Certains même de sa race, proprement impressionnant avec leur stature d'adulte, aussi gros que la mère de leur protégée.

A l'évocation des fauves, Ève se rappela soudain pourquoi elle s'était réveillée si soudainement. Elle ressentait encore partiellement le sentiment de tristesse profonde qui l'avait habité dans son rêve. Encore une fois elle avait eu l'impression de vivre une partie de la vie de ces femmes qui servaient une déesse du nom d'Aorila. Plus cela allait, et plus elle partageait intimement les sentiments de celle qui s'appelait Ameratë. Durant ce dernier songe, c'était comme si elle était réellement cette femme âgée. Elle n'avait pas été spectatrice. Elle avait été Ameratë, avait pris ses décisions, avait senti émerger en elle cette douleur incommensurable devant le choix dramatique qu'elle allait devoir imposer à son culte.

A la simple évocation de ces instants, la gorge d'Ève se noua. Elle savait qu'elle avait eut d'autres songes de ce type, en dehors du premier qu'elle avait commenté à ses amis. C'était presque comme si elle avait une autre vie, la nuit, dans ses songes. Cependant, les autres fois, le contenu de ces histoires nocturnes s'était évaporé dans les brumes confuses du retour à l'éveil. Elle eut l'impression qu'elle aurait dû s'accrocher à leur souvenir pour les raconter aux autres, mais sa volonté était trop volatile lorsqu'elle émergeait du sommeil.

Et celui-ci ? S'en souviendrait-elle demain matin si elle essayait de tout retenir dès maintenant ? Elle rappela les images et les sensations encore fraîches dans sa mémoire, tout était là. Tout était là, mais pouvait s'enfuir si elle replongeait dans le sommeil... Bien sûr, ce n'était que des rêves, mais dans ceux-ci, elle était toujours la même femme, et ce n'était pas des rêves récurrents. Elle savait, sans comprendre comment, qu'à chaque fois les évènements étaient différents, qu'ils suivaient un cours. Toutefois, elle ne s'en rappelait pas, parce qu'elle les avait laissé s'évanouir.

Elle se redressa, contrariée, et regarda Julie puis les autres, endormis.

« Qu'est-ce qu'y a ? lui demanda la jeune afro-française à voix basses. T'as l'air de la fille qui doit se lever et qu'a pas envie.

- Non, c'est pas ça. Faut que je raconte un truc. »

Julie se rapprocha, intéressée : « Ah bon ? un truc secret ?

- Non. Je crois pas. Un truc bizarre plutôt ».

Elle hésita quelques secondes sur la conduite à tenir, puis frappa dans ses mains à plusieurs reprises : « Debout tout le monde ! C'est l'heure de la comptine !! »

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant