Chapitre 48 - L'affrontement

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Devant ses yeux, Christophe revoyait l'enchaînement des évènements qui avaient conduit à la mort de Julie. Il rejouait chaque geste dans sa mémoire, se demandant ce qui aurait suffit, l'infime différence qui aurait suffit, pour lui sauver la vie.

Ce n'était pas de la culpabilité, c'était juste qu'il ne voulait pas l'accepter. Pas plus maintenant qu'au moment où c'était arrivé. Les Kyohnis avait dû le saisir et le tirer de force en dehors de la grotte. Il avait senti leur vigilance à son égard durant tout le chemin du retour, tandis que lui y repensait encore et encore, et se disait que cette disparition n'était pas une mort.

Et le pire, le pire...

Tout cela n'avait servi à rien. Le premier groupe, les dix meilleurs d'entre eux, n'avaient pas réussi à rattraper les deux Nocturnes valides qui s'étaient enfuis.

Face à Christophe, le soleil se levait sur la Dédale, le linceul brumeux au centre duquel avait disparu Julie. Autour d'eux, les immenses montagnes de la chaîne d'Athallin restaient imperturbables, implacables, contemplant le fugitif destin des humains du haut de leur éternité.

Toute-l'arrière garde était de nouveau en haut de la chute d'eau. Ils attendaient leur ennemi, en silence. Mais cela ne serait pas pour cette nuit, finalement. Les rayons du soleil les protégeaient, pour l'instant. Il leur restait une journée devant eux, une journée pour décider.

Et ce soir...

Christophe ne savait pas quel serait le choix des Kyohnis, si même il restait un choix à faire. Tous savaient que les Nocturnes se déplaçaient trop rapidement pour que les tribus puissent atteindre le Sanctuaire saines et sauves. Elles avaient trop peu d'avance.

La seule chance qu'il leur restait était que l'arrière-garde puisse faire perdre encore une nuit à leurs poursuivants, une nuit entière. C'était une chance infime, car même cela ne suffirait peut-être pas. Mais c'était leur seul possibilité.

La question était de savoir comment jouer cette carte. Où établir leur ligne de défense ?

Un des kiyés avait envoyé un oiseau porteur d'un message, aux chefs qui menaient la tribu unifiée. Un des khohus avait envoyé un rêve. Aïkehu avait envoyé un messager, le plus jeune d'entre eux. Le message était le même : hâter votre fuite, abandonnez tout. Mais le vrai rôle de l'émissaire, Christophe en avait conscience, était d'être le dernier témoin, celui qui porterait leur mémoire, à eux qui resteraient en arrière, pour que plus tard, chacun puisse savoir. C'était leur coutume, ici.

Iyuh était venu voir Christophe, et lui avait demandé de partir, avec son petit peuple de Français. Ils avaient peut-être une chance de s'en sortir...

Christophe refusait d'y penser.

Derrière lui, il y avait les filles. Kim et Samya s'étaient endormies, épuisées d'avoir trop pleuré.

Ève caressait la grosse tête de Bagheera en silence.

Christophe était incapable de réfléchir correctement. Il était incapable d'accepter l'absence de toute solution.

A quelques mètres d'eux, la faune s'éveillait lentement, le chant d'un oiseau solitaire accueillait les premiers rayons de lumière. Au loin, la mer de brume indolente, parsemée de colossaux écueils, poursuivait ses remous tranquilles. Quelque part en son sein, des tueurs sanguinaires se reposaient, en pensant avec délice au festin qu'ils feraient la nuit venue.

Tout près, autour du jeune mage, quarante sept indigènes s'endormaient, en ayant accepté leur mort prochaine. Et lui ne trouvait pas le sommeil, incapable de déterminer où se trouvait le courage, où était la lâcheté. Après leur repos, ils en parleraient avec elles, sa tribu, sa famille. Bien sûr, ils en parleraient... Peut-être voteraient-elles pour la fuite...

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant