Il se sentait un peu cotonneux, émergeant d'un flou indistinct. Son corps flottait dans une douleur contenue, somme toute supportable, tandis que son esprit avait du mal à trouver un sens à ce qu'il ressentait.
Il ouvrit les yeux. Debout à un mètre devant lui, la plus belle femme que Christophe ait jamais vue, en dehors d'Ehntehag, l'observait d'un air impénétrable. Elle avait une longue chevelure blanche que le vent faisait flotter derrière elle, maintenue par un casque en bois. Celui-ci soutenait de larges andouillers, sur lesquels pendaient de toutes petites plumes argentées.
Christophe n'arrivait pas à détacher son regard de ses yeux bleu-gris très pâles, pourtant il avait conscience que quelque chose ne collait pas. Il avait une étrange impression de son corps, comme si un poids inhabituel le couvrait.
« Aucun mot ne suffit pour le sang versé, déclara-t-elle, nous partirons donc en silence et la tête courbée. Courbe la nuque, et pardonne-moi, homme, comme je te pardonne. Dis-le à ton peuple, nous ne vous chasserons pas. Mais faîtes bien attention, cette parole ne portera pas au delà de ces montagnes.
Quant à toi, quel que soit ton chemin, tu danses sur un fil ténu.
Prends garde à tes choix. »
Sur ces mots énigmatiques, elle se retourna et se transforma en un tourbillon d'air, bientôt imitée par les quatre autres sorcières, avant de disparaître dans la nuit.
Christophe resta sans bouger pendant plusieurs longues secondes comme tous les survivants, puis soudain, Kim et Ève se retrouvèrent à genoux à côté de lui. Il voyait que Kim voulait le prendre dans ses bras, mais quelque chose la retenait. Et finalement il comprit, il était hérissé d'épines. Il portait une armure d'épines !
Kim avança lentement une main vers son cou, qu'un court gorgerin protégeait partiellement. Des larmes barbouillaient son visage, mais elle ne pleurait plus.
« T'as du sang partout... » dit-elle tout bas.
Christophe porta les mains vers son visage, les petites lianes qui maintenaient son casque se délacèrent toutes seules, et il arrêta son geste. Ses mains ? Il avait deux mains, couvertes d'écorce souple, ornée d'épines aux articulations. Deux mains ! Il porta sa main droite sur sa main gauche. Lorsqu'il touchait l'écorce, il sentait sa main en dessous, comme si elle avait repoussée !
Le bois-vivant réagit à sa volonté, sans qu'il en exprime clairement le besoin, et le gant d'écorce s'ouvrit et se défit, rampant pour remonter sur son avant bras dont les épines se rétractaient. Mais au fur et à mesure que le gant refluait, les sensations qu'il avait de sa main gauche disparaissaient, pour ne finalement révéler que l'absence de chair, seulement le moignon qu'il connaissait bien.
Kim semblait aussi ébahie que lui, décontenancée par la manière dont le bois-vivant bougeait, justifiant sans conteste possible le nom que lui donnait le peuple kyohnis. Mais elle ne pouvait pas comprendre ce que lui avait ressenti, cette joie brève à laquelle avait succédé la déception. Alors, prestement, le bois-vivant reprit sa position initiale, pour former une main parfaitement fonctionnelle, dont il ressentait la présence comme si c'était la sienne. Il bougea les doigts, saisit le poignet de Kim, sa main végétale réagissait comme sa main de chair. Il caressa la peau de sa tendre moitié, la sensation était là, mais différente, pas aussi nette qu'avant, mais présente, mieux, beaucoup mieux qu'une absence.
Il avait de nouveau une main ! Il n'était plus handicapé !
Il en ressentit de nouveau de la joie, jusqu'à ce que son regard porte autour de lui, et lui révèle l'ampleur des pertes qu'ils avaient subies.
Toute la violence du combat s'exprimait par la position des corps à terre, les éclaboussures de sang, les chairs déchirées, et les traits figés dans la mort...
Christophe pouvait lire sur le visage des survivants les émotions mêlées qui les animaient, le soulagement d'avoir survécu, l'état de choc qui suit la brutalité des combats et la douleur de la perte.
« Au moins, on a gagné, dit-il tout bas.
- On a gagné ? Répéta Ève avec doute.
- Oui, lui assura-t-il, on a gagné. Nous avons fait ce que nous devions faire. Les Chasseurs Nocturnes sont partis ! Ils ne tueront pas les familles de ceux qui ont participé à ce combat, ni leurs amis, ni leurs voisins. Nous avons gagné ! »
Aïkehu entendit ses paroles et en comprit le sens. Alors il les répéta et les traduisit en kyohnis pour les autres. Petit à petit, la douleur disparut de leurs traits, lorsqu'ils comprirent pleinement ce qu'ils venaient de faire.
Ils avaient réalisé l'impensable, et finalement, eux qui pensaient vivre ici leur dernière nuit, ils crièrent au ciel leur victoire. Ils avaient survécu ! Le peuple survivrait !
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Vierge de sang
FantastikÈve courait, comme jamais elle n'avait couru. Elle sentait le terrain sous ses foulées, savait instinctivement où poser les pieds, elle était comme le vent qui file entre les arbres. Elle percevait avec une précision incroyable toutes les odeurs qui...