Chapitre 48 - 2

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A douze mètres d'eux, Christophe repéra enfin Samya. Elle avait grimpé à plus de quatre mètres de hauteur, sur le même gros rocher qu'avaient choisi les rapaces, au beau milieu du cours d'eau. De là, elle avait une vue parfaite sur tout le terrain alentour. Elle tirait au bout d'une corde deux carquois de flèches, en plus de celui qu'elle portait dans le dos. Un des oiseaux de proie lui jeta un bref coup d'œil puis se déplaça sur la droite, loin d'elle, lui laissant la meilleure place. Elle déposa là ses deux carquois supplémentaires, fit quelques étirements, puis elle se cala sur ses deux jambes, arc baissé, flèche encochée.

Christophe rejoignit les chamanes, et s'assit en position du lotus. Les deux Kiyés posèrent chacun une main sur une de ses épaules, pendant que les khohus faisaient de même avec eux, puis ils commencèrent leur cérémonie. Mené par ces guides spirituels, Christophe entra en contact avec Tëteda, tout en restant distant. C'était comme si son esprit avait pris du recul, alors qu'il sentait la puissance de la Terre Mère influer dans son corps. En simple spectateur, il sentit un fleuve de force le traverser, comme s'il n'était qu'un simple canal. Les guerriers choisis s'étaient assis, les bras sur les épaules les uns des autres, en formant un triangle qui pointait jusqu'à lui. C'était en eux que la puissance de Tëteda se déversait, en un flot puissant. Certains d'entre eux changeaient d'apparence, prenant partiellement des traits animaux, alors que d'autres, sans vraiment changer, acquéraient une aura de puissance palpable.

Puis tout s'arrêta : ils étaient près.

Les dix guerriers rejoignirent les quatre khokuhns, et ils se répartirent également de chaque côté du torrent. Certains d'entre eux n'avaient plus l'air tout à fait humain, moitié homme moitié animal. Leur corps était en partie recouvert d'une courte fourrure brune, tandis que des griffes acérées terminaient leur bras et leurs pieds. Ils se tenaient à moitié accroupis, presque à quatre pattes, dissimulés derrière des rochers, comme des fauves à l'affut.

Ève s'était postée un peu devant les chamans, qui eux-même étaient protégés par deux archers. L'espèce de gros ours s'était nonchalamment placé sur le flanc droit, pendant que les massifs mouflons étaient allés sur le flanc gauche.

Les autres archers disséminés sur la falaise continuaient de harceler les grimpeurs, obligeant les sorcières à user de leur magie. Deux d'entre eux avaient cependant été touchés par les flèches akheraïes, l'un gravement, sans que ses jours soient en danger, mais l'autre avait chu dans le vide, sous le regard impuissant de ses compagnons. Quelques Nocturnes avaient également été touchés, mais cela n'avait rien à voir avec l'efficacité qui avaient été attendue lorsque les khokuhns avaient monté leur plan.

Christophe, avait de son côté fait part de ses réflexions aux khohus, qui avaient accueilli son choix avec un contentement non dissimulé. Ils étaient maintenant tous les trois assis en tailleur, formant un triangle relié par leurs bras et leurs mains, chacune posée sur une des épaules de l'autre. Malgré son stress, le jeune homme régulait peu à peu sa respiration, inspirant et expirant avec application, emplissant ses poumons d'air frais, il cherchait la voie qu'il avait choisie.

Et soudain, tout au bord du flanc gauche, ils sortirent de l'ombre, sautant au sol silencieusement. Une dizaine de Nocturnes, menés par quatre d'entre eux portant une armure d'épines, se déployèrent et chargèrent les Kyohnis les plus proches.

Ils avaient dû commencer à grimper bien avant le reste de leur troupe, dans les anfractuosités de la paroi latérale, loin de la falaise d'où se jetait la rivière, puis ils avaient dû progresser horizontalement, pour venir les surprendre.

Les trois archers qui se trouvaient sur leur chemin furent balayés instantanément. Les autres indigènes affluèrent aussitôt, pour les bloquer avant qu'ils n'atteignent les chamans. La mêlée s'engagea furieusement.

Aïkehu, Isk-hi, Ève et le plantigrade formaient le fer de lance que venaient étayer une vingtaine de chasseurs. Grâce à la magie kyohnis le groupe put tenir le choc, durant les premiers instants. Ils firent même tomber deux Nocturnes assez rapidement. Le premier grâce à Aïkehu, qui avait profité de ce que l'Akheraï était occupé à esquiver la charge de l'ours au mufle plat, pour le surprendre et lui couper les tendons d'Achille. Incapable de se déplacer assez rapidement, l'être au sang bleu avait succombé sous la mâchoire de l'énorme animal.

Le second avait été transpercé par une flèche de Samya, tandis qu'il était occupé à lutter contre Ève, Bagheera et Isk-hi, et la Vierge l'avant achevé d'un coup de lance qui lui avait transpercé le crâne.

Mais à eux seuls, les guerriers en armures d'épines avaient rapidement tués six autres Kyohnis, et ils arrivèrent au contact du noyau mené par Aïkehu.

Alors qu'il échangeait plusieurs coups contre le chef des Akheraïs, le plus puissant des gardiens kyohnis comprit que tout était perdu. Personne ne pourrait battre ce guerrier. Quant à Ève, incapable d'en croire ses yeux, elle avait reculé de plusieurs pas. Elle reconnaissait le visage de ce colossal Chasseur Nocturne : son casque aux épines acérées, chaque pièce de son armure de Bois-Vivant, ses yeux bleu-gris d'un froid glacial, chaque partie de cet être était restée gravée dans sa mémoire. C'était lui, la Voix de la Guerre, le puissant chef qui avait présidé aux sacrifices des milliers de Vierges Guerrières il y avait trois siècles de cela. C'était lui qui avait tenu au bout de son bras la vie d'Ameratë, qui avait serré sa main autour de sa gorge, lorsqu'Ève avait rêvé ces terrifiants instants.

Elle en resta paralysée. Il émanait de lui une telle aura que la peur la saisit, une peur contagieuse qui gagna aussitôt Bagheera. Le félin vint chercher refuge derrière sa maîtresse, la queue basse, les oreilles baissées. Et puis, tandis qu'Aïkehu subissait ses premières blessures, une chaleur s'écoula dans le corps de la Vierge Guerrière et réveilla son esprit. Aorila était là, avec elle. Elle ne pouvait pas céder. D'un preste salto, elle se porta aux côtés du khokuhn blessé, tandis que de l'autre côté rôdait Isk-hi, en quête d'une faiblesse de leur adversaire.

A une quinzaine de mètres de la mêlée, Samya guettait. Arc tendu, elle surveillait le combat, prête à décocher sa flèche pour soutenir un guerrier en difficulté, ou surprendre un de leurs ennemis.

Mais le combat était très mobile et les combattants nombreux. Elle saisissait chaque occasion qui se présentait, faisant mouche quatre fois jusqu'à présent, pour un résultat décevant. Les blessures qu'elle avait infligées aura mis hors de combat un humain. Les Nocturnes étaient d'une autre trempe.

Soudain, elle sentit plus qu'elle ne vit un danger sur sa droite. Elle effectua une rapide rotation en s'accroupissant, et évita du même coup une flèche.

Sur le bord de la falaise, plusieurs Nocturnes avaient pris pied, là où les Kyohnis avaient abandonner leur poste pour se porter au secours de ceux qui subissaient la charge menée par le seigneur Akheraï. L'un d'eux encochait une nouvelle flèche dans sa direction. Elle se redressa et tendit sa corde, décochant en même temps que lui. Comme s'ils avaient partagés le même sang froid et la même agilité, ils esquivèrent tous deux les projectiles en se penchant légèrement en arrière, puis encochèrent une nouvelle flèche. Mais cette fois-ci, Samya tira la première. Le Nocturne fut touché à l'épaule et tituba sur quelques pas en arrière. Elle allait tirer une nouvelle flèche sur lui, avant qu'il ne reprenne son équilibre, lorsqu'une violente douleur la projeta sur le côté.

Elle n'avait pas vu venir le projectile. La pointe d'une lance saillait de son ventre. Sous la puissance de l'impact, Samya tituba, son pied glissa. Dans un réflexe désespéré elle tenta de corriger son équilibre, mais la douleur trop forte rendit son geste gauche. Elle tomba, projeta sa main dans un dernier effort pour s'accrocher à la paroi, mais sa main ripa, l'écorchant jusqu'au sang.

La lance qui la crucifiait se brisa lorsqu'elle tomba sur les rochers recouverts d'eau vive, elle sentit plusieurs côtes se briser, tout comme sa jambe.

La dernière pensée qu'elle eut fut pour Ève et Christophe, une petite fraction de seconde de conscience, pour se dire qu'elle avait merdé, qu'elle les laissait tomber stupidement. Et puis le goût du sang dans sa bouche, la douleur, un peu partout dans son corps...

L'eau était froide, un froid à réveiller un mort.

Mais cela ne l'empêcha pas de tomber dans un noir insondable.

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant