Kim ouvrit les yeux brusquement.
La hutte était sombre. Deux rayons de soleil passaient de chaque côté du tissu tendu à l'entrée, quelques grains de poussière y jouaient mollement avec les courants d'air.
De là où elle était, elle voyait Julie dormir profondément. Quelques gouttes perlaient sur sa peau sombre, mais son sommeil semblait paisible. Son amie était hors de danger depuis plusieurs jours déjà, elle avait juste besoin de beaucoup de repos.
Kim n'eut pas besoin de déplacer sa main derrière elle pour savoir que la couche était vide. Ils avaient dit qu'ils partiraient à l'aube.
Christophe ne l'avait pas réveillée pour lui dire au revoir...
Depuis leur dispute... Ils dormaient toujours l'un à côté de l'autre, mais plus ensemble.
Quelque chose les avait séparés. C'était elle qui avait causé ça ?
De grosses larmes coulèrent sur ses joues. Elle savait que son attitude avait été irrationnelle, stupide...
Lorsqu'elle avait vu Christophe à son réveil, après cette histoire avec Sissima, elle lui avait demandé si « le Don Juan avait bien dormi », avec un ton amer. C'était puéril. Elle aurait pu deviner vers quoi évoluerait leur discussion, elle aurait dû. Elle ne savait plus si c'était lui qui avait abordé le sujet de la pénétration ou elle. Peut-être elle... Sans doute elle. Mais elle n'y pouvait rien, elle n'arrivait pas à chasser cette impression qu'il avait imprimée en elle, ou plutôt que cette primitive partie de lui avait imprimée en elle, lorsqu'il l'avait rejetée. La honte qu'elle avait ressentie...
Et lui, cet imbécile fini, avait ressorti ça, avait dit que cela n'était pas sa faute s'il ne pouvait pas faire l'amour avec elle.
C'était parti en couille, direct.
Cela faisait six jours maintenant qu'ils ne se parlaient plus. Et là, il était parti, avec Ève, Akibi, Isk-hi et Iyuh. Ils étaient tous partis vers une vallée secrète, pour sauver la petite indigène mutilée. Une vallée dangereuse, où ils risquaient de mourir, encore. Loin d'ici, loin d'elle.
C'était à cause d'un conte qu'ils avaient entendu, une des nombreuses histoires parlant de Pipili, un héros kyohnis pas très fort, mais très rusé, qui parvenait toujours à s'en sortir grâce à son astuce et sa malice. Kim ne se souvenait pas de tous les détails, mais ça parlait de Pipili et son frère, Ebgi, à qui on avait dû couper la jambe après un accident. Pipili avait juré de trouver une solution. Il était allé dans une vallée sacrée où il y avait une source qui pouvait guérir tous les maux, et avait demandé au gardien qui était là s'il était possible de faire repousser la jambe de son frère. Le gardien de la source avait répondu qu'il pourrait le faire, si Pipili lui offrait un œil en contrepartie. Pipili aimait son frère, mais il aimait aussi ses yeux.
Or, au cours de ses aventures précédentes, Pipili avait déjà eu affaire à Kopko, le singe voleur, dont la curiosité était sans limite, à tel point qu'il jetait parfois son œil dans les sacs des gens, pour voir s'il y avait quelque chose à y voler, puis il envoyait sa main le prendre si c'était nécessaire. Kopko pouvait détacher toutes les parties de son corps, aucune cage ne pouvait le garder prisonnier. Et il était si mignon qu'un seul de ses regards dissuadait de le tuer. Alors Pipili monta un subterfuge pour que Kopko jette son œil dans son sac, pendant qu'il faisait semblant d'être assoupi. Une fois l'œil à l'intérieur, Pipili avait refermé son sac avant de s'enfuir à toutes jambes. Il sema Kopko, puis revint voir le gardien de la source avec son frère, et lui donna l'œil de Kopko en échange.
C'était vraiment un conte pour enfant, en avait pensé Kim, à qui le khohu traduisait l'histoire, ce soir là. Mais Aëlep avait dit qu'il ne s'agissait pas que de ça, c'était une transposition romancée, mais la plupart des choses étaient vraies. Ève avait été particulièrement intéressée, demandant s'il était possible de faire repousser les membres, si cette source existait bel et bien. Kim avait compris immédiatement qu'elle pensait à Akibi, que son amie avait juré de prendre sous sa protection. La pauvre petite Kokori faisait peine à voir, Kim était gentille avec elle à chaque fois qu'elle le pouvait, mais la honte d'Akibi pouvait se lire sur son visage. Les marques de coups avaient pratiquement disparu, Le kiyé avait bien pris soin d'elle. Mais elle resterait pour toujours sans ses doigts et sans ses dents. Alors Akibi se cachait, quand ce n'était pas dans leur hutte, elle partait dans la jungle, toute seule. Chaque jour, Ève lui préparait la bouillie qui lui servait de repas, parce que la pauvre jeune fille ne pouvait rien manger d'autre. Tout ceux de la hutte, de leur tribu à eux, s'étaient proposé pour l'aider ou la remplacer, mais Ève voulait le faire toute seule, c'était sa responsabilité. Christophe était intervenu pour corriger : c'était leur responsabilité, à tous, parce qu'Ève avait fait d'Akibi une membre de leur tribu. Elle était " nationalisée française " avait-il dit avec humour. Kim avait aimé cet imbécile à ce moment là. Il avait grand cœur, on ne pouvait pas dire le contraire. Il avait été convainquant, et Ève avait accepté. Il s'y était tous mis, à tour de rôle.
Et Akibi était gentille aussi. On le voyait lorsque parfois elle aidait Julie, comme elle pouvait, lui passant un linge d'eau fraîche sur le front lorsqu'elle avait de la fièvre, lui apportant à boire. Parfois Julie s'endormait en tenant le bras de la jeune indigène. Et souvent aussi, Akibi pleurait, toute seule, discrètement. A chaque fois que Kim s'en rendait compte, elle la prenait dans ses bras, lui parlant doucement, même si elle savait que la jeune fille ne comprenait pas bien le mauvais kyohnis que baragouinait Kim.
Et lorsque le khohu avait révélé que la vallée sacrée existait bel et bien, Kim elle-même s'était jointe à l'espoir que cela représentait. La source existait, et elle pouvait soigner toutes les blessures. Il n'y a que la mort contre laquelle elle ne pouvait rien. Aucun mal ne lui résistait. Mais sa puissance était limitée : lorsque quelqu'un avait bénéficié de ses propriétés, la source restait un certain temps sans pouvoir. Mais cela n'avait plus grande importance, avait précisé le vieux chaman, parce que ce temps-là était révolu. Lorsque les mages de l'empire avait conquis le royaume kyohnis, ils avaient trouvé cette vallée sacrée. Certains d'entre eux s'y était installé, et la vallée avait été irrémédiablement changée. La source existait encore, mais des choses étaient restées, après le départ des Hauts Mages, des choses mauvaises et dangereuses. La vallée n'était plus sacrée, seulement une vallée secrète, interdite.
« On ne peut plus s'y rendre ? » avait demandé Christophe. Le khohu avait répondu que si, Pipili l'avait bien fait. Mais Pipili était un héros. D'autres ont essayé, et des trois qui ont réussi, seul Pipili s'en est bien sorti. L'un des autres avait réussi à faire soigner sa bien-aimée, atteinte d'une maladie incurable. Mais en échange, il avait dû devenir un des gardiens de la vallée, pour toujours. Le gardien de la source faisait toujours payer le prix fort.
Kim se souvenait très bien du regard qu'Ève et Christophe avaient échangé, après les paroles d'Aëlep. À ce moment là, son cœur s'était serré. Elle avait su quelle décision ils prendraient, bien avant qu'ils ne l'expriment, quelques jours plus tard. Ils n'en avaient pas débattu avec elle, ni avec Samya. Comme si cela ne concernait qu'eux.
Christophe, son stupide chéri, avait appris à manier un peu la magie du kiyé, il avait réussi à lancer un sortilège, il avait réussi à amadouer un animal, un tout petit animal, une espèce de petit écureuil avec des yeux ridiculement gros. Il était très mignon, certes, mais il n'y avait pas de quoi pavoiser. Pourtant, son stupide stupide chéri en avait acquis une nouvelle aura auprès des Nesqs. Iyuh avait déclaré que Christophe pourrait devenir gardien de sa tribu s'il voulait. Être gardien et chef de tribu en même temps arrivait très rarement, cela ne se rencontrait que dans les toutes petites tribus décimées. Mais c'était bien leur cas. Et Ève avait changé d'attitude vis-à-vis de lui aussi. Alors que non ! Il n'était pas devenu aussi fort qu'elle, loin de là !
Kim avait eu peur qu'ils partent, elle ne voulait pas. Mais elle avait regardé Akibi et n'avait pas eu le courage de le dire. Une fois, alors que la petite Kokori pleurait dans les bras de Kim, Iiyabi, qui était dans la hutte aussi, avait traduit ses paroles. Elle disait qu'elle voulait mourir. Elle devait avoir quoi ? Quatorze ? Quinze ans ? Et Kim était sûre qu'elle pensait ce qu'elle disait.
Elle n'avait pas eu le courage de leur dire de ne pas partir. Mais Christophe savait ce qu'elle pensait, elle en était sûre. C'était pour cela qu'il ne lui en avait pas parlé.
Quant à Samya, elle avait proposé de partir avec eux, pour les aider. Elle était devenue sacrément forte à l'arc. Mais Ève et Christophe avaient refusé. Ils voulaient qu'elle reste pour les protéger, Julie et elle, si quelque chose arrivait. C'était une excuse, Samya le savait, mais elle avait accepté, sans insister.
Et, à présent, ils étaient tous partis.
Peut-être serait-ce un bien. Peut-être, lorsque Christophe serait revenu, sain et sauf, serait-elle prête. Elle avait accepté de faire son need'ha, Jaïba lui avait coupé les cheveux. Lorsque son chéri reviendrait, elle pourrait faire comme les jeunes kyohnis lorsqu'elles sont prêtes : couper sa natte et en faire un bracelet pour lui, qu'elle lui passerait elle-même autour de son poignet. Leur périple leur prendrait au moins un mois. En plus, d'ici là, elle aurait peut-être un peu le temps d'apprendre la magie de la khaada. Elle ne serait plus inutile dans le groupe. Elle pourrait être utile, leur éviter des combats, plutôt que rester là, à se cacher et regarder en espérant qu'ils s'en sortiraient bien.
Un mois...
Kim pleura à nouveau. Il lui manquait, son stupide, stupide chéri...
VOUS LISEZ
Vierge de sang
ФэнтезиÈve courait, comme jamais elle n'avait couru. Elle sentait le terrain sous ses foulées, savait instinctivement où poser les pieds, elle était comme le vent qui file entre les arbres. Elle percevait avec une précision incroyable toutes les odeurs qui...