Lorsqu'ils repartirent le lendemain matin, peu de mots furent échangés.
Bagheera avait repris sa place à côté d'Ève, il semblait que celle-ci l'avait acceptée, ils l'acceptèrent aussi. Mais l'air enjoué de la jeune fille et son désir de paraître naturelle les avait mis mal à l'aise. Quelque chose n'allait pas, l'armure souriante qu'elle avait revêtue ne correspondait pas à ce qu'ils ressentaient.
Ils avaient échangé plusieurs regards interrogatifs ou inquiets, mais personne n'avait osé aborder le sujet. Et puis tout avait été prêt, ils étaient partis.
Rapidement, Kim s'était portée à côté d'Ève et avait entamé un babillage sur les choses futiles qui leurs manquaient, les produits de beauté, du démêlant, du chocolat. Ève plongea dans la conversation avec elle, comme s'il s'était agi d'un sujet de la plus haute importance.
Christophe était perturbé. Il avait réfléchi une partie de la nuit aux choses qu'il aurait pu lui dire, aux mots qui auraient pu l'aider. Il en avait discuté avec Julie, puis avec Samya. Et maintenant Ève ne semblait pas en avoir besoin.
Il n'y croyait pas.
Sans s'en rendre compte, il avait accéléré, passant en tête de la marche. Il s'arrêta plusieurs fois pour se retourner et observer la jeune fille habitée de rêves terrifiants. Mais à chaque fois c'était Kim qui interceptait son regard. Les yeux d'Ève fuyaient la confrontation, avec innocence et insouciance, toutes deux feintes avec talent.
Julie vint à sa hauteur au milieu de la matinée. Ils parlèrent de détails, du meilleur chemin à prendre pour sortir de la vallée dans laquelle ils avaient passé la nuit. A quelques secondes d'intervalle, ils eurent chacun un regard pour celle qui était finalement la plus jeune d'entre eux. Julie se pinça la lèvre inférieure et haussa les sourcils en signe d'interrogation muette, Christophe haussa les épaules en aveu d'incertitude.
Lors de la pause de mi-journée, Christophe se décida à aborder le sujet. Mais lorsqu'il s'approcha d'Ève, Kim aperçu son air résolu et choisit ce moment pour trébucher et se rattraper in extremis sur lui.
« Arrête » lui glissa-t-elle à l'oreille, alors qu'il se penchait pour l'aider à reprendre son équilibre.
Surpris, Christophe ne put qu'exprimer un « hmmm ? » de gorge discret. Kim lui adressa un rapide froncement de sourcil et demanda ensuite a Ève de l'accompagner pour aller uriner. Le temps qu'Ève ramasse sa lance, la jeune asiatique murmura rapidement à Christophe : « Elle en parlera quand elle en aura envie. Laisse la respirer.
« Qu'est-ce que vous complotez tous les deux ? » demanda Ève en se rapprochant.
Kim éclata d'un petit rire gêné. « Je prend un rendez-vous » déclara-t-elle sur le ton de la confidence. Puis elle déposa un rapide baiser sur la joue du jeune homme et prit Ève par la main pour s'enfuir derrière un bosquet proche.
Kim avait-elle raison ?
Christophe s'interrogea en les voyant s'éloigner.
Il s'en ouvrit à Julie et Samya.
Oui, peut-être fallait-il lui laisser du temps, en priant pour que les rêves s'arrêtent là.
Mais si ce n'était pas le cas ?
« Je me sens inutile... je déteste ça » avoua-t-il tout bas, accroupi devant ses deux confidentes. Il jouait avec un caillou ramassé entre deux des immenses pavés de la route.
« Tu ne le seras pas tant que tu seras là pour la soutenir » déclara Samya sur le même ton. Assise contre un gros rocher, elle prit le caillou des mains de Christophe. Une de ses côtés était brisée, et présentait une face lisse à l'éclat gris-vert, se terminant par une arête vive. Elle en testant le tranchant avec la pulpe de son pouce. « On se sent tous un peu pareil, reprit-elle. Mais je la connais, lorsqu'elle voudra nos conseils, elle nous les demandera.
- Alors on attend ? » demanda Julie.
Christophe acquiesça en silence, comme à regret, puis compléta : « On attend et on avance ».
Ils marchèrent quatre jours durant sans faire plus de pause que le strict nécessaire. Il avait repris un bon rythme de progression et les cauchemars d'Ève avaient cessé, du moins son sommeil ne semblait plus agité.
Au fur et à mesure de leur longue marche, les cimes environnantes apparaissaient de moins en moins hautes, la température nocturne se faisait plus douce. Ils espéraient que cela était le signe de la fin prochaine de cette chaîne montagneuse.
Le détour d'un col les amena devant une vallée profonde et large, et comme à chaque fois, la route impériale perdait de sa qualité en descendant dans la jungle. Elle semblait cependant dans un état de conservation relativement correct, comme le laissait penser la large trouée qui s'enfonçait dans la verdure.
Ils préférèrent monter leur campement à l'orée de la jungle et se reposer avant de s'aventurer dans celle-ci, car même avec les vestiges de la route pour guide, ce type de traversée s'était toujours révélé fatiguant et parfois dangereux.
La région paraissait tranquille, ils décidèrent de ne pas monter la garde pour la nuit. Bagheera était là, qui pourrait les surprendre alors que son ouïe était si fine ?
Lorsque Christophe se réveilla le lendemain matin, le soleil entamait sa course. Ève était déjà debout. Appuyée sur sa lance, elle contemplait la vallée embrumée.
Le jeune homme vint à son côté. Depuis cette tentative de magie coopérative, il ne l'avait plus touchée, même pas sa main. Il ne savait plus trop comment faire ; un fossé s'était creusé, que l'absence de conversation n'avait fait qu'approfondir.
Il se tint un long instant à son côté, contemplant avec elle les teintes orangées qui enflammaient la montagne. Tout était calme, l'air frais et vivifiant faisait frissonner sa peau. Un moment idéal pour une réconciliation se dit-il.
Il voulait mettre la main sur son épaule, lui dire quelque chose, mais il ne savait pas par quoi commencer.
Il leva la main, hésita. Elle perçut le mouvement et tourna son visage vers lui. Elle lui souriait avec, au coin des lèvres, un soupçon de tristesse qui l'émut. Sa main se leva plus haut, il caressa avec tendresse ses magnifiques longs cheveux.
« Excuse-moi, lui dit-il.
- Je... répondit-elle.
- Je ne sais pas ce qu'il se passe pour toi, l'interrompit-il. Mais quoi que ce soit, je t'aiderai si je peux... comme je peux. T'as pas besoin de m'expliquer... Je serai là, c'est tout. »
Son sourire à lui était sans doute en cet instant aussi triste que le sien. Elle eut un très court froncement de sourcil et caressa la main qu'il avait posé sur son épaule. Puis avec lenteur, elle vint poser la tête sur sa poitrine et glissa son bras droit autour de sa taille. De son bras libre, il la serra contre lui avec douceur.
« Merci » fut son seul mot.
Il ne demanda rien de plus.
Après un peu plus d'une minute, elle se détacha de lui, et se retourna vers la vallée, sa main dans la sienne. De l'index, elle indiqua une direction : « Il y a une cité là-bas. »
Christophe plissa les yeux mais ne distingua rien de particulier.
« Tu vois la petite pointe de pierre qui se détache là ? montra-t-elle
- Oui.
- C'est une tour en ruine.
- Tu crois ?
- Oui.
- C'est possible... admit-il. Tu penses que les filles voudront s'y aventurer ?
- Je n'ai pas vu de reflets lumineux avant que le soleil ne se lève... » Elle tourna son visage vers lui « Moi ça me tente bien. J'aimerais bien comprendre un peu plus ce qui s'est passé sur ce monde... »
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Vierge de sang
FantasíaÈve courait, comme jamais elle n'avait couru. Elle sentait le terrain sous ses foulées, savait instinctivement où poser les pieds, elle était comme le vent qui file entre les arbres. Elle percevait avec une précision incroyable toutes les odeurs qui...