Chapitre 43 - 4

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Il se réveilla soudain. Il était allongé sur le sol de mousse. La première chose qu'il vit fut Akibi, à un mètre de lui, qui regardait ses mains avec ravissement. Son sourire montrait ses belles dents carrées. Elle était magnifique.

Christophe prit appui sur ses mains pour se redresser et glissa pour retomber sur le dos. Sa main gauche n'avait pas répondu à son intention. Il l'amena vers son visage.

Il n'avait plus qu'un moignon au niveau du poignet, propre et lisse.

Assis sur son trône, le gardien du Temple du Passage le contemplait, les bras indolemment posés sur les accoudoirs. Son bras droit avait toujours son apparence de vieillesse maladive, mais sa main droite était jeune et belle.

Christophe s'assit et regarda son avant bras au bout duquel il avait encore l'impression de sentir ses doigts, comme si sa main avait été invisible. Il passa son autre main sur son moignon. Non, il n'y avait plus rien là. Plus rien du tout.

Il était sous le choc.

Akibi se redressa aussitôt et vint s'agenouiller devant l'être étrange, le front touchant le sol.

« Ma main, dit-elle. Je vous donne ma main, grand Nascui, pour qu'il ait de nouveau la sienne. Celle que vous voudrez. »

Elle tendait ses deux mains au dessus d'elle, toujours à genoux.

« Une main ne suffira pas » déclara-t-il, toujours aussi neutre.

Sa réponse sortit Christophe de son état de stupeur.

« Comment-ça ? S'insurgea-t-il en se redressant. Que vous faut-il de plus ? »

Le Nascui sembla réfléchir, il parcourut son propre corps de ses yeux noir et brillant. Puis de sa belle main, il se toucha la peau de sa joue. Elle semblait presque rigide, comme un masque de cire. D'un doigt fin et aussi rose que celui d'un nouveau né, il désigna Akibi.

« Je prendrai son visage »

La jeune femme, qui avait redressé la tête, porta ses deux mains devant sa bouche, pour masquer le hoquet d'horreur qui jaillit involontairement.

« Mais non ! S'indigna Christophe. Ce n'est pas juste !

- Ce n'est pas une question de justice, c'est une question d'équilibre de valeur.

- Mais quel équilibre ? C'est trop !

- Si. C'est juste ce qu'il faut »

Christophe ne comprenait pas de quel équilibre de valeur voulait parler cet être incompréhensible. Il y avait quelque chose d'anormal en lui, comme une malignité. Et pourquoi voulait-il toujours échanger son don contre quelque chose en rapport avec son propre corps ?

« Pourquoi êtes-vous comme ça ? Demanda subitement Christophe. C'est une malédiction ? » Le jeune homme était pris d'un soudain espoir. Si c'était cela, si c'était une malédiction, il pourrait peut-être trouver une solution, l'aider.

« C'est ainsi, répondit le gardien, une règle que je me suis imposée, pour être complet.

- Quoi ?

- Qu'est-on, mon jeune ami, sans loi ?

- Vous êtes fou.

- Je ne peux pas te demander de comprendre la notion d'équilibre.

- Mais ce n'est pas équilibré ! Vous demandez toujours plus que ce que vous donnez.

- Parce que tu ne sais pas regarder, parce que tu ne sais pas juger. Tu es incomplet. Comment peux-tu prétendre comprendre ?

- Mais...

- Tais-toi. Tu me fatigues. Il n'y aura pas d'autre don aujourd'hui. »

Christophe resta interdit, tandis qu'Akibi ne faisait pas le moindre geste.

La Nascui détourna la tête et fit un geste négligeant de la main, accompagné d'un « Partez » las.

« Non ! » S'insurgea Christophe.

Des colonnes jaillirent de longues lianes, qui claquèrent comme des fouets autour des deux questeurs. Christophe recula de deux pas, se retrouvant presque les pieds dans la mare, tandis qu'Akibi se collait à lui. Les lianes bruissaient de colère, et intuitivement, Christophe sentait qu'il fallait surtout ne pas chercher à se battre ici. Ce n'était pas que les lianes l'effrayaient, c'était juste qu'il ne fallait pas le faire, pas en ce lieu, pas contre ce gardien. Cela restait un lieu sacré pour le peuple qui l'avait accueilli.

Aussi fit-il prudemment retraite, baissant la tête en signe de soumission, tout en reculant et en tenant Akibi par la main droite, la seule qui lui restait.

Les lianes refluèrent contre les colonnes. Lorsqu'ils atteignirent le vestibule, elles avaient toutes repris leur place d'origine. Christophe se retourna alors et traversa la petite salle d'un pas vif, ne désirant plus qu'une chose, sortir de ce lieu de folie. Puis soudain, il s'arrêta, juste à l'orée du couloir sombre, la jeune Kokori sur ses talons.

Il leva son avant bras gauche, réalisant soudainement que c'était fini, qu'il avait perdu sa main, définitivement. Il ne pourrait plus rien manier de ses deux mains, il ne pourrait plus se battre comme le faisait les khokuhns, avec une hachette et un coutelas, il ne pourrait plus incanter de magie. La moitié d'un monde se refermait. Il avait perdu une partie de lui, pour toujours.

C'était impensable, impossible.

Et pourtant.

Et à côté de lui, Akibi le contemplait les yeux embués, les mains sur la bouche, comprenant ce qu'il ressentait en ce moment mieux que quiconque. A travers son regard, il aurait pu lire la culpabilité qui serrait le cœur de l'adolescente, si son cerveau avait encore fonctionné correctement. Mais en cet instant, il tournait à vide, il ne voyait que cet endroit où aurait dû se trouver sa main.

Vierge de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant