Chaque heure fut une éternité.
La fatigue les rendait hagard, le sommeil les fuyait. Et lorsque les paupières se faisaient trop lourdes venaient les images cauchemardesques, dans un chaos étouffé, enfiévré. Réminiscences de ce qu'ils avaient vécu, les scènes se jouaient derrière leurs rétines jusqu'à la nausée.
Et puis finalement, trop las, et parce que le corps a des limites que même la plus sourde douleur ne peut effacer, ils s'effondrèrent, à quelques pas de l'aube.
Plus tard dans la matinée, après qu'ils se furent tous réveillés, trois d'entre eux partirent à la recherche de fruits, tandis que deux des filles gardaient Grégory, dont la température semblait dangereusement élevée.
Après le petit déjeuner frugal, les mots fusèrent enfin. Des reproches, contre le destin, contre la sorcière, contre le hasard, contre cette injustice insane... et enfin le constat : leur présence ici, seuls.
Quelle voie suivre ? Que pouvaient-ils faire ?
Leur univers n'étaient qu'à deux jours d'eux, mais il leur semblait qu'il s'agissait d'un passé définitivement révolu. Asha s'en était enorgueillie : le retour des terriens sur leur monde d'origine reposait sur son bon vouloir. Ils ne savaient pas où elle était parti, ils ne disposaient d'aucune magie pour ouvrir la porte d'émeraude. La sorcière pouvait être à des milliers de kilomètres de l'endroit où il se trouvaient, ou alors dans une autre dimension, un autre univers.
Ils étaient perdus, seuls, dans une jungle inhospitalière, des citadins de l'ère mécanique... de l'ère informatique ! Incapables de chasser, incapables de se nourrir sans leur supermarché.
« Non ! s'insurgea Christophe. D'autres l'ont fait. On peut en faire autant ! On ne va pas se laisser mourir sans essayer de survivre ! La jungle regorge de nourriture. On va identifier les fruits comestibles, apprendre à chasser. On va se battre ! Et on survivra !
- Comment on peut faire ? s'inquiéta Ève.
- C'est qu'une jungle ! Ce ne sont que des animaux ! Nous, nous sommes des humains ! Nous avons chacun un putain de cerveau ! Et aucun de nous n'est seul... Nous sommes six !
- Y'a pas d'raison ! Le soutint Julie. Quand elle était jeune, ma mère vivait dans un village, dans la savane. Elle vivait à l'ancienne. C'est pas tellement loin de nous ; Y'a pas de raison qu'on puisse pas le faire !
- Et après ? demanda Samya ? On se fait un petit village, on apprend à vivre ici en attendant qu'Asha veuille bien repasser par là ?
- Non, répondit Christophe soudain redevenu calme, on se pose plus loin, à côté de la rivière pour avoir de l'eau, si possible dans un endroit facile à défendre et à surveiller contre les gros animaux, et on prend le temps d'apprendre à vivre dans la jungle. Et une fois qu'on sera devenu bon, nous partirons.
- Où ça ?
- On trace ! » répondit-il comme une évidence. « On cherche des habitants ! Je sais pas si Asha vient de ce monde, mais à mon avis, quelqu'un l'a bien construit ce gros monument qu'on a vu. Et il s'agit certainement des êtres qui sont originaires de ce monde. Si Asha a ouvert son passage là-bas, c'est que ce truc à des pouvoirs magiques. Donc ceux qui l'ont construit ont sans doute la connaissance nécessaire pour qu'on rentre chez nous.
- C'est qu'une hypothèse, admit Samya, mais elle me paraît logique. Je vote pour ».
Qu'auraient-ils pu opposer à cette proposition ? Il ne leurs restait plus que cela, l'espoir. Alors ils le prirent et le firent leurs.
Ils décidèrent de partir en direction de la rivière, pour trouver un lieu propice pour le campement. L'endroit où le cours d'eau sortait de la montagne leurs semblait le plus logique, et avec un peu de chance, il pourrait receler une grotte dans laquelle établir un campement de fortune.
Ils descendirent la falaise par le long éboulement rocheux qu'ils avaient déjà utilisé le jour précédent, et s'enfoncèrent dans la jungle.
L'emplacement fut trouvé alors que l'après-midi était déjà bien avancée. La fatigue les faisaient marquer le pas lorsqu'ils débouchèrent sur une clairière faisant face à une succession de bassins à l'eau claire. L'endroit paraissait tellement idyllique qu'ils tombèrent à genoux sur des lits d'herbes hautes, pour s'extasier devant tant de beauté.
La rivière sortait d'une passe de la montagne un peu plus haut, et venait s'épancher dans une profusion de larges plateaux étagés, plus ou moins creux, dont les plus importants devait avoir à peine cinquante centimètres de profondeurs.
Autour des bassins, la végétation était principalement constituée de grands arbres aux frondaisons lourdes, de quelques buissons épineux, pour certains fleuris, qui ne montaient pas à plus d'un mètre de hauteurs et d'une mousse vert tendre et épaisse, qui avaient colonisé les rochers alentours. Quelques-uns des buissons portaient des grappes de petites baies noires un peu plus grosses que des groseilles. Entre l'eau et les premières frondaisons, des touffes d'herbes grasses croissaient anarchiquement, sauf aux quelques endroits où elles pouvaient s'épanouir en petite clairière.
S'il n'en avait tenu qu'aux filles, le groupe se serait directement installé aux pieds de ce lieu paradisiaque. Cependant Christophe les convainquit de remonter vers un promontoire rocheux un peu plus éloigné, qui avait l'avantage de présenter un bonne vue alentour et de posséder un versant adossé à la paroi rocheuse.
La pente du chemin qu'ils empruntèrent était douce, mais il fallut porter Grégory pour en grimper quelques étapes plus raides. Au bout, il y avait une vaste terrasse formant un petit plateau herbeux large d'une vingtaine de mètres. Elle donnait directement sur la jungle d'un côté, sur la grande paroi rocheuse d'un autre et surplombait les bassins pour le reste, d'une hauteur proche de cinq mètres.
Une fissure dans la paroi avait fait penser au groupe qu'il pourrait y avoir une caverne, mais il ne s'agissait en fait que d'un renfoncement d'à peine plus d'un mètre de profondeur, suffisant pour stocker tout ce qui était périssable, en cas de pluie.
Dans une autre des failles de la paroi, un peu plus loin, un ruisseau sourdait vivement, serpentant jusqu'à la jungle avant de bifurquer et de contourner la clairière. Il finissait en une petite chute d'eau qui ruisselait sur des rochers de toutes tailles, pour finalement alimenter les nombreux bassins.
Avec un soulagement indéniable, ils déposèrent leurs affaires et prirent le temps de respirer.
Le son de l'eau qui s'écoulait avait un quelque chose d'apaisant, de doux. Le soleil baignait leur visage, ils étaient plus ou moins adossés les uns aux autres, l'épuisement les anesthésiait un peu. Ils se sentaient presque bien, comme un petit sentiment de victoire après toutes leurs défaites.
Les gémissements de Grégory les ramenèrent à la froide réalité.
Ils nettoyèrent sa plaie à l'eau pure avant d'appliquer du désinfectant. L'adolescent se plaignait sans grande force. La blessure était profonde et aucun d'entre eux n'avait de connaissances médicales, ils espéraient simplement que leurs soins seraient suffisants pour éviter une aggravation. Ils déchirèrent ensuite une chemise pour faire un bandage, lui donnèrent de l'aspirine pour soulager sa fièvre et le laissèrent s'endormir.
Malgré la fatigue, ils s'attelèrent ensuite au campement, qu'ils montèrent du mieux qu'ils pouvaient avec les deux heures de jours qui leur restaient : un grand feu, du bois de réserve, tout l'équipement récupéré entassé entre le feu et la paroi rocheuse et des couches généreusement préparée à partir de grandes feuilles larges et épaisses, complétées par des touffes d'herbe haute.
Ne restait plus qu'à affronter cette nouvelle nuit.
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Vierge de sang
FantasiÈve courait, comme jamais elle n'avait couru. Elle sentait le terrain sous ses foulées, savait instinctivement où poser les pieds, elle était comme le vent qui file entre les arbres. Elle percevait avec une précision incroyable toutes les odeurs qui...